Confucius revoit calmement sa vie dans un célèbre aphorisme :
À quinze ans, je résolus d’apprendre. À trente ans, je m’affermis dans la Voie. À quarante ans, je n’éprouvais plus aucun doute. À cinquante ans, je connaissais les décrets du Ciel. À soixante ans, j’avais un discernement parfait. À soixante-dix ans, j’agissais en toute liberté, sans pour autant transgresser aucune règle. (Entretiens, livre II, 4).
Deux mille quatre cent quarante-six ans plus tard je lui emboîte enfin le pas.
Une grande liberté du septantaire (comme j’appelle en ce moment les gens de 70 ans et plus) est, selon moi, de tomber amoureux de toute sorte de gens et de choses avec plus de cœur et d’imagination que d’agitation hormonale. Ces dix derniers jours, par exemple, je me suis enflammée pour une ville que je ne connaissais pas avant : Lausanne ; et pour un acteur de cinéma : Kôji Yakusho, qui joue dans le film Perfect days de Wim Wenders. Ce personnage est sans aucun doute l’incarnation de la liberté intérieure qui ne “transgresse aucune règle“.
La septantaine me fait parfois ressembler à une ravie en bonnet rouge et bras levés, comme celui dont le long buste blanc surgissait d’une fenêtre dans notre crèche de Noël.
Avec la différence qu’aucune bonne nouvelle ne s’annonce en ce Noël 2023 pour le monde.
Mais un autre sage va peut-être me souffler : “Il reste l’Espérance”. Des trois vertus théologales, c’est en effet ma préférée.
Entré dans la septentaine récemment, je tombe amoureux de toutes sortes de choses (je mets les gens de côté pour l’instant) : musiques, peintures, places, écritures … auxquelles je n’avais pas accordé beaucoup d’attention jusqu’alors.
Tous les jours je découvre et tout devient possible : le ravissement et l’émotion jusqu’aux larmes. En fait, je n’ai jamais autant pleuré de ma vie. Voilà ma grande liberté.
Mais cette liberté n’est rien face aux drames des guerres et des massacres actuels. Maudit soit l’être humain de tout âge qui assassine notre monde.
Merci de nous rappeler pourtant qu’il reste l’espérance.
Je comprends ce que vous dites. Merci !
J’ai dépassé hélas! depuis longtemps la septentaine et il est peu probable que j’atteigne un jour le nonagénisme, tant mes réjouissances actuelles me mènent d’hôpital en hôpitaux. Il est difficile de tomber sous le charme de tant de spécialistes sans empathie, imbus de leur science… Mais tout parcours a son intérêt si on ne refuse pas l’obstacle comme un vieux cheval qui rechigne. Bref ! Tu as tout à fait raison: il faut veiller à ne pas laisser s’éteindre l’espérance en route. C’est le plus précieux! Elle permet de faire encore des vœux dans ce monde enragé . ¡Feliz año nuevo! Un abrazo.
Le Sage du dernier §, dans ma tête c’était toi !
(A propos de vieux cheval, Un des poèmes de Baudelaire qui me désole le plus est “Le goût du néant”. Je viens de le relire).
Merci de nous faire partager vos découvertes et vos fines réflexions. Et l’Espérance, en effet; je suis un irréductible optimiste.
A l’année prochaine,
Merci à vous de me lire et de partager mon espérance. Bonnes fêtes de Noël.
“A quatre vingts ans tout peut-être dit, si près de la mort que risque-t-on à dire ce qui ne se dit pas, à faire ce qui ne se fait pas? Rien, ou si peu de choses ayant une quelconque importance, qu’on peut considérer que c’est le moment de sa vie où l’on est le plus libre car tous les choix qui ne concernent que soi sont équivalents. Pourquoi m’interdirais-je de faire de moi-même le personnage burlesque d’une comédie villageoise dont le scénariste aurait voulu sur la fin pasticher le genre noble de la tragédie sans y parvenir malgré l’accumulation de cadavres ? Peur de me rendre ridicule ? Quelle importance. Peur de blesser un de mes proches ? à qui pourrais-je encore faire de la peine en mettant en scène mon enfance et mon adolescence, mes grands-parents, mes parents, mes oncles, mes tantes, ma sœur, tous sont morts et les autres ne connaissent de mon enfance que ce que je leur en ai dit, alors mensongère ou véridique, fondamentale ou superficielle, qui contestera ma parole et de quel droit?” c’est en ces termes que je commence le récit des dix huit premières années de ma vie en Algérie, alors “ravie en bonnet rouge et bras levés” ou “personnage burlesque d’une comédie villageoise” se valent puisqu’au fond ce dont il s’agit c’est de dire envers et contre tout que la vie est belle et que le monde vu de notre petite fenêtre est encore capable de nous surprendre. Joyeux Noël Nathalie.
Hâte de lire cette “comédie burlesque” ! Bon Noël à vous deux aussi.
Chère Nathali, grâce à vous décembre est moins moche.
Contrairement à vous, je n’ai pas été séduit par Yakusho Koji, bien que le personnagequ’il interprète avec talent m’ait beaucoup intéressé. Mais je m’attendais à l’indicible poésie des personnages des films d’Ozu. Les brefs passages en noir et blanc dans le film m’ont comblé cependant, et détourné un instant du présent absurde et cruel.
Continuez à nous envoyer vos images, que l’on découvre comme un annuel calendrier de l’avent.
Pour Yakusho, je trouve son prix d’interprétation de Cannes très bien mérité. J’ai encore en tête le dernier plan du film, extraordinaire… Je n’en dis pas plus bien que j’en meure d’envie. Bon Noël !
Pour les tardillons de ma génération (ma mère m’a mis au monde à 43 ans !), “lo raro es vivir”, comme disait Carmen Martín Gaite. Moi aussi, je suis entré dans la septentaine. J’essaie de rester modérément optimiste, même si ce monde me fatigue…J’ai du mal.
” Je ne lutte pas contre le monde, je lutte contre une force plus grande, contre ma fatigue du monde . ” (Cioran)
Jolie, la phrase de Cioran. Merci !