Le photographe

Mon amie Marie-Paule Farina publie tous les jours sur Facebook, avec son mari Raymond, un poème écrit par les auteurs les plus divers, accompagné d’une œuvre picturale et d’un morceau de musique. La semaine dernière, j’ai relevé un extrait du poème intitulé  “Photographe” du Néerlandais Rutger Kopland (Souvenir de l’inconnu, Gallimard 1998).

(…) Car regarder ainsi c’est attendre et ne pas savoir
ce que j’attends. Il n’y a aucun instant
où cet instant se répète.

C’est là attendre et ne pas savoir où
je suis, un endroit parmi les gens
que je ne retrouverai pas.

Ô, outils patients, viseur, déclencheur
Patients, j’attends. J’entends
le déclic. Mon Dieu, cette attitude

ingénue, ce geste, ce regard où
ils ont été touchés
et sont restés.

J’ai envoyé ce poème à mon frère Roland qui vit à Séoul et consacre une partie de son temps libre à photographier les environs de la ligne de démarcation entre les deux Corées.

Il me répond que ce poème est magnifique, et qu’il voudrait que les strophes suivantes parlent des moments « où on attend des heures pour rien, ou quand l’événement tant attendu se produit dès qu’on a tourné des talons ». Il m’envoie aussi cette photo que l’on croirait prise à Disneyland, et ajoute le commentaire suivant :

« C’est un obstacle anti-tank sur une route près de la Corée du Nord. En cas d’invasion, des bâtons de dynamite préalablement installés sous les blocs de béton explosent et la route est barrée pour quelques heures. La semaine dernière je suis monté en haut d’une montagne pour photographier ce truc de façon sympa, genre avec un peloton de cyclistes qui le traverse. En vain. Au bout de trois plombes, j’ai décidé que je me contenterais de cette bagnole banale.

Donc je remballe, je commence à rebrousser chemin, et alors que j’étais déjà parti, j’entends des vrombissements de motos et je vois 25 Hells Angels en cuir franchir l’obstacle avec leurs Harley Davidson.

Mais il était trop tard, je n’étais plus dans l’angle. J’en ai presque pleuré. »

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4 réponses à Le photographe

  1. marie paule farina dit :

    merci Nathalie et ô combien je comprends ton frère. J’aime ces échanges, sais-tu que “el carino” (excuse moi je ne sais pas mettre l’accent de l’espagnol) dont tu parlais il y a quelques semaines dans patte de mouette est entré dans mon texte sur Jean Potocki parce que je ne trouvais rien de mieux pour nommer le rapport qu’il instaure avec ses hôtes marocains. Son “Voyage dans l’empire du Maroc” date de 1791.

  2. Daniel Levinson dit :

    Bonjour Nathalie, ton billet m’a rappelé un film ancien, original et nostalgique, que j’avais beaucoup aimé : ”Smoke”, sur un scénario de Paul Auster.
    Je comprends la déconvenue et l’irritation de ton frère : le vélo qui passe trop tard, le papillon qui s’envole trop tôt, ces minuscules déconvenues du photographe amateur.

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