Quand je ramasse un caillou c’est pour sa forme, sa couleur, quelque chose qui m’attire directement en lui ou correspond à ce que j’ai dans la tête, sans rien de savant car je ne m’y connais pas en géologie. Ainsi, j’ai ramassé un jour sur la plage deux galets que j’ai nommés papa et maman, peut-être parce que je voulais d’une manière ou d’une autre les ramener à la vie.
Je me souviens de l’histoire des survivants du déluge Deucalion et Pyrrha qui sèment des pierres pour qu’elles se métamorphosent en hommes et en femmes et repeuplent la terre. J’y ai consacré un jour ici un billet http://patte-de-mouette.fr/2017/11/10/issus-de-la-pierre/
Quand je ramasse des pierres, c’est aussi parce que je souhaite garder une carcasse des lieux où je suis passée. Un morceau de terrain plutôt qu’une photo.
J’ai depuis longtemps sur mon bureau un galet du Toulourenc, rivière de la Drôme menacée aujourd’hui par les déchets des touristes. J’ai aussi une pierre rouge de Calatrava que les chevaliers guerriers ont peut-être foulée en 1492 avant de prendre Grenade…
Le contact d’un téléphone portable ne remplace pas dans ma poche celui d’un galet lisse et frais que ma main réchauffe.
Oui, c’est cela : la pierre qu’on réchauffe au creux de la main et qui devient charnelle. Etrange abolition des frontières quand l’esprit ou le désir infuse le galet, le remplit de douceur. Car c’est toujours de douceur qu’il s’agit dans ces instants. Comme une caresse remontée du plus lointain, une retrouvaille. On l’emporte en souvenir ce temps qui se fige, cette tendresse à fleur de peau sur le caillou si lisse…
Un abrazo!
Merci, Jacques, pour ce beau commentaire. Je viens d’ajouter en lien un de mes anciens billets sur Deucalion et Pyrrha d’Ovide, qui rappelle que nous sommes issus des pierres de la Terre.
Votre texte, Nathalie, et le commentaire de M. Robinet me rappellent un geste contraire mais également chargé de sens. A Montparnasse ou à Elbeuf, je dépose un caillou sur les tombes de mes grands-parents morts vingt ans avant ma naissance : Simone, Daniel, vous n’existez pas, vous n’existez plus, vous existez encore, ne cessez pas d’exister car alors je serai mort. J’aime aussi laisser de petits cailloux sur des tombes inconnues qui accueillent des noms que j’aime bien : bonjour Léon Rosenfeld – bonjour Edmée Chemla – donde fuiste, Iñigo Perlimòn ? – sleep well, Duncan McDowell. Je pose le petit caillou chargé sur la pierre et aussitôt, il perd de sa masse. Il n’y a pas de réponse, ce qui donne à réfléchir.
Cette pratique me plaît beaucoup. Mes galets “papa” et “maman” sont depuis novembre sur leur tombe et tiennent compagnie à ceux que j’y ai déposés au fil des ans.
Je suis sûre aussi qu’Inigo Perlimon, de là où il est, vous bénit 🙂
D’une pluie de ponces jetées d’une lointaine céphéide,
Les morts nous bénissent, telles des grains de riz.