A marée haute : d’abord marcher en long plus qu’en profond. S’habituer au froid, voir si les vagues ne vont pas m’atteindre plus vite que je ne voudrais (c’est presque toujours le cas). Après les jambes, le « divertissoir » comme disait maman (étape selon elle primordiale d’une baignade). C’est là que j’attends le déclic (quand la vague n’a pas décidé à ma place). Après quelques faux départs ponctués de « un… deux… trois… », je plonge et deviens grenouille. Les dix premières brasses sont précipitées, puis le souffle s’apaise et un rythme s’installe.
A marée basse : traverser les bâches, sentir l’odeur de poisson, voir les petites crevettes filer autour de mes orteils, patauger dans la bonne vase molle. Puis, si la nage est trop ventre à terre, faire la planche et contempler le ciel.
Entrer dans les choses comme dans la Manche, sans me faire renverser par les vagues : au bout de quelques « un, deux, trois » frileux, ou après avoir pataugé dans la vase nourricière. Mais entrer.
Marée haute, marée basse, ce qui me “renverse” – dans cette Manche alignée selon ses plages et ses vagues – c’est son ciel. Et j’ai écris quelque part “Au commencement”.
Les bleus du ciel – où la Sienne fuse – ont les teintes dispersées des sentiments. Des bleus d’ombre traversés des retours de voyage, des bleus étirés d’un bout à l’autre des enfourchements qui tiennent le ciel, des bleus opalins du matin emboîtés aux bleus mosaïques des pays où on a vécu, des bleus en grandes fresques bleues des intuitions du monde, des bleus reproduits à l’infini du fini en longues boucles déversées sur les apparences, seulement les apparences pour éviter la confusion ou les trahisons, un seul bleu du plus clair au plus sombre qui se concentre et se superpose pour dire ses amoncellements innombrables, un seul bleu d’un seul morceau depuis le commencement.
Vous entrez dans le bleu !
De très belles nuances de gris, aussi, dans les mers et les ciels normands.
Plages immenses du Nord, Côte d’Opale parcourue pendant dix ans, que de souvenirs se ravivent devant cette image! A nouveau, je ressens grâce à toi, le contact du sable mouillé sous mes pieds, l’eau traîtresse des bâches, le bris des couteaux — coquillages harcelés par les mouettes — les lumières changeantes du ciel, l’incroyable bonheur d’être au monde, un monde de l’origine, préservé. Mais je n’osais pas me jeter à l’eau! Je n’ai jamais aimé ses étreintes glacées. Je m’amusais de mon chien, bondissant vers les vagues…
Chère Nathalie, merci de m’avoir invité à partager ton plaisir. Un abrazo!
La Côte d’Opale, paysage de “Frontières de sable”… J’aime bien ce titre mystérieux.
(Les bris de couteaux blessent les pieds nus, on aime mieux, en effet, les faire croustiller sous des bonnes semelles.)
Un abrazo !