Pour Lulu
Hélène Hoppenot raconte dans son Journal (éditions Claire Paulhan) que la femme d’un diplomate collègue de son mari nommait fièrement, en bonne pondeuse, ses enfants : “Mon numéro un, mon numéro deux, cinq, six, etc.”, et je me souviens que maman critiquait cette pratique assez courante. Il faut dire qu’avant que la contraception ne se développe librement dans nos pays, les couples qui ne pratiquaient ni l’abstinence ni le coïtus interruptus (et encore moins l’avortement) avaient parfois, dans les premiers temps de leur mariage, un enfant par an pendant trois ou quatre ans. Puis ils se calmaient et entamaient de manière mieux planifiée leur deuxième série d’enfants. Les grands constituaient donc un groupe bien distinct des petits.
Dans une famille nombreuse chaque enfant porte, profondément ancré en lui, le numéro qu’il occupe dans la fratrie. S’il m’est arrivé dans un récit d’appeler mes personnages Triolette, Quartette et Quintette, c’est donc autant par réalisme social que par motif musical.
Être le dernier des grands, affirmais-je péremptoirement à trois heures du matin (on est souvent péremptoire dans les insomnies), n’est pas très avantageux, car les yeux tournés vers les plus grands, on est dédaigné d’eux tout en partageant leur dédain pour les petits. En revanche, quand on est l’aîné des petits on sait qu’on n’est qu’un chétif insecte aux yeux des grands. On peut alors se tailler la première place dans les sphères inférieures avec une liberté d’autant plus grande que les regards des dieux parentaux sont eux aussi lourdement fixés sur les aînés. Est-il aussi avantageux d’être le dernier des derniers, né inopinément 10 ans après le faux dernier et chouchouté par toute la famille ? Pas sûr, car tout en étant adulé par maman et papa, ce tardillon est chargé de réaliser toutes les espérances que les aînés ont déçues.
Ces propos feront bâiller d’ennui quiconque n’appartient pas à une famille nombreuse ou a décrété depuis longtemps : “familles je vous hais”. Mais ce que j’avance ne peut-il pas s’appliquer à d’autres domaines ? me dis-je maintenant, à 11 h du matin. Vaut-il mieux faire partie du bas de la haute ou du haut de la basse ? Le dernier violon du Boston Symphony Orchestra est-il plus heureux que le chef de l’Harmonie municipale de Mézidon-Canon ?
Inépuisable sujet de comédie. “Une bourgeoise, contente dans un petit village, vaut mieux qu’une princesse qui pleure dans un bel appartement”, dit à l’acte I scène 1 de La Double inconstance Silvia, qui deviendra à l’acte III scène 10 une princesse contente dans un bel appartement.
Ça pétille comme le Champagne. Il faut croire que tu es tombé à la bonne place pour t’en tirer si joyeusement, avec tant d’humour et d’esprit. Pour moi, aîné qui regardait tous les suivants comme des encombrements, j’ai du mal à abandonner suffisance et balourdise.
Chapeau l’artiste!
Un abrazo
Ecris-nous, s’il te plait un texte (ou une chanson) où les enfants seraient les notes de la gamme. On l’attend.
Je connais une pièce de Beckett, vue dans ma jeunesse à Madrid, où les personnages s’appelaient Sol, Fa, Mi. Le dialogue était comme une musique répétitive : “- Sol, qué te parece Mi ?” “- Como siempre… mas o menos…” (Je n’ai pas les accents sur ce clavier). No me atrevo a competir !
Gauthier, Maxence, Aymard et Sixtine (Squarlatine serait plus logique). Manquent Quint, Sixte, Septime et Octave pour compléter cette jolie photo. Nous fûmes quatre pinsons, 2+2, mais les couples varièrent dans le temps au gré des affinités et de l’éclatement géographique. Je pense que vos observations se vérifient surtout dans l’enfance et l’adolescence, et que ça cristallise à l’âge adulte.
Connaissant Boston et Mézidon-Canon, je choisis le violon.
Lulu se régale.
D’abord, le terme de “pondeuse”, que j’ai découvert avec délice lors d’une de mes lectures de Sartre, que j’adorais lorsque j’avais 19, 20 ans. Il y allait fort, mais bon, je trouvais ça génial, osé, et j’approuvais.
Ensuite, encore une fois, tu parles de ta maman. Quand tu l’évoques, je regrette vraiment de ne jamais l’avoir rencontrée.
Et le thème des familles nombreuses, quel délice, moi qui n’ai pas eu ce plaisir. Les grandes et les petites, les robes des grandes portées par les petites. Ça devait être un monde, un continent à part, avec ses coutumes et sa propre langue.
A défaut d’avoir pondu une famille nombreuse, mes parents racontaient avec plaisir des histoires décrivant des détails intéressants sur les familles nombreuses qu’ils connaissaient. Il y avait la famille Fonseca, avec Milton, Mirenice, Mirene et plusieurs autres prénoms commençant tous par Mi. Il y avait la famille qui avait deviné (comment?) que leur petit serait le dernier et l’avaient appelé Ultimo. Mes parents non plus ne faisaient pas partie de familles nombreuses, c’était peut-être leur façon de le regretter.
T’en as de la chance, Nat!
Incroyable la famille Mi- ! J’ai justement dans ma tête une famille Ma- dont tu auras peut-être des nouvelles un jour…(Je ne croyais pas que ça pouvait exister en vrai !) Sur Google images j’ai vu aussi une famille de 11 enfants américains qui, au lieu du prénom accompagnant leur numéro sur le Tshirt, avaient “son” ou “daughter”! Et la mère très fière devant 🙂
Et oui, il existe de nombreux genres de familles. On aurait pu tomber bien pire!
Très bien, j’attends avec impatience des nouvelles de la famille Ma-!
Moi, en tant que fausse dernière de la famille, je n’ai pu être que soulagée d’être détrônée par le petit dernier… “Fin de race” me nommait férocement l’une de mes grandes soeurs… Ca m’impressionnait beaucoup, j’avais l’impression d’être au bord de la mort.. Les enfants sont terribles, et dans les grandes fratries on ne sait pas quand on est petit comme on sera quelquefois finalement tellement amis et solidaires quelquefois, arrivés à l’âge adulte.
Je me souviens de “fin de race” 🙂