Un lecteur attentif de ces Pattes de mouette m’a fait remarquer l’autre jour en privé qu’un passage n’est pas très explicite dans mon dernier billet : celui où je parle sans transition ni explication d’ “exsangue” après avoir évoqué “l’érosion” de notre monde : L’exsangue, comme chez les Rougon-Macquart (ligne 4).
J’avais en fait à l’esprit une scène précise et particulièrement impressionnante du Docteur Pascal, dernier roman du cycle de Zola :
Un des rejetons de cette famille lourdement marquée, Charles, est atteint d’hémophilie. Il est présenté dans le récit comme un petit prince vêtu de velours, et je pense à un autre Charles, le roi Carlos II, malingre fils de Philippe IV d’Espagne, affecté des multiples tares liées aux mariages consanguins de ses ascendants.
Portrait de Carlos II par Juan Carreño de Miranda, 1685, Musée du Prado, Madrid
Le jeune Charles de la dynastie Rougon se trouve, lui, dans le même asile que son aïeule, Adélaïde Fouque, dite la tante Dide, dont la folie est à l’origine de la “fêlure héréditaire” des Rougon-Macquart. Il s’endort dans un fauteuil sur son livre d’images, se met à saigner du nez, et se vide peu à peu de tout son sang sous les yeux de l’arrière-grand-mère hébétée: “(…) Charles était mort sans une secousse, épuisé comme une source dont toute l’eau s’est écoulée.”
Exsangue au sens propre.
Une autre scène non moins frappante de ce roman est celle où le vieil oncle Antoine Macquart, imbibé d’alcool, s’endort dans son fauteuil la pipe à la bouche et se consume lentement en dormant.
(En dehors de ces deux scènes extraordinaires, je n’ai pas un souvenir très ému de ce dernier roman et de ses développements lyrico-théoriques sur la vie, la mort et l’hérédité.)
Ce que j’admire très souvent dans tes commentaires en dehors de leur intérêt propre jamais démenti, c’est l’admirable capacité de ta mémoire qui semble tout retenir de ses nombreuses lectures. Non sans une certaine jalousie, je m’identifie alors à ces hémophiles plus ou moins gâteux qui s’en vont ” épuisé(s) comme une source dont toute l’eau s’est écoulée.” En attendant, je bois avec délice à celle que tu nous proposes avec tant de largesse. Gracias!
Un abrazo
entièrement d’accord. Je suis admirative moi aussi et je m’abreuve à cette source intarissable qu’est ce blog mais la source venant après l’hémophilie j’ai cru en vous lisant que nous allions de manière éhontée vampiriser Nathalie pour retrouver quelque couleur. Une relecture m’a permis de comprendre que vous ne m’invitiez pas à une fête qui laisserait exsangue notre amie. Quel soulagement!
Bon sang, Marie-Paule, tes commentaires sont en tout cas pour moi une source de gaieté 🙂
Merci, Jacques, mais ma mémoire est juste indicative, je pars chercher ensuite dans les volumes. Je ne sais pas si tu es comme moi, mais je sais maintenant que ce sont presque toujours les mêmes passages qui me frappent quand je lis, c’est pourquoi je n’hésite pas à souligner (au crayon) mes livres. Et la mort du petit Charles avait été soulignée dans ma lecture du siècle dernier !
A part ça, j’ai beaucoup enseigné, donc beaucoup répété. Cela ne m’a jamais gênée d’étudier chaque année “L’Invitation au voyage” ou “Le bateau ivre” dont certains vers me mettent encore les larmes aux yeux.
Et pour ce qui est des ascendants consanguins, je crois que je te bats !
Le surnom de Carlos II, derniers des Habsbours espagnols: “El hechizado”. “Falleció el 1 de noviembre de 1700, a los 38 años, aunque aparentaba una mayor edad. Según el médico forense, el cadáver de Carlos «no tenía ni una sola gota de sangre, el corazón apareció del tamaño de un grano de pimienta, los pulmones corroídos, los intestinos putrefactos y gangrenados, tenía un solo testículo negro como el carbón y la cabeza llena de agua». La littérature espagnole du XX ème siècle a souvent utilisé son histoire. “Francisco Ayala le dedicó “El hechizado”, uno de los seis relatos de Los usurpadores (1949). Y Ramón J. Sender la novela histórica Carolus Rex (1963).”
Merci, Claude pour ces précieuses informations. Je vais chercher si Zola ne se serait pas inspiré de ce roi au cadavre exsangue et pourri, et noter le titre de Ramon Sender.
À propos d’Antoine Macquart, et de façon plus guillerette, mon ami J-FO, fumeur de pipe lui aussi, m’a raconté qu’il avait failli s’immoler en se désinfectant au gel hydroalcoolique tout en allumant sa bouffarde. Ni son los que están, ni están los que son.
Ouille ouille ouille, en effet !
Je vais bien, merci. Et malgré tous ces exemples, mon sang fait plus qu’un tour.
Merci Nathalie pour ces sources.
Comme il y a plus d’un roi qui s’appelle Charles, il y a aussi plus d’un philosophe, plus d’un conteur, plus d’un poète…
J’ai moi aussi beaucoup enseigné, mais avec une invincible répugnance à me répéter. Mais pour moi aussi, certains livres s’ouvrent toujours aux mêmes pages, et je donne volontiers le reste de Cyrano pour quelques vers du dernier acte (il est exsangue, lui aussi) “Et samedi vingt-huit, une heure après dînée / Monsieur de Bergerac est mort assassiné.”
” Comment pouvez-vous lire à présent ; il fait nuit”
Et plus encore : “Non, non, mon cher amour, je ne vous aimais pas.”
Sentimental.
Emouvant le “il fait nuit”, en effet…
De père en fils, Cyrano fut inlassablement notre livre de chevet, et
”Non, non, mon cher amour, je ne vous aimais pas”
le vers de sublime abandon que j’attends dès le début de ma lecture.