Vanniers et tisserands
Je relève dans Passage du poète, de l’écrivain suisse Ramuz (voir le billet du 21 juillet), ces lignes particulièrement éclairantes sur son jumeau imaginaire : Besson, le vieux vannier qui tresse ses paniers sur la place du village :
(…) Sur la place, Besson continue à faire ses paniers, disant le pays et le refaisant, mettant les lignes de l’osier l’une sur l’autre, comme l’écrivain ses vers ou sa prose ; — disant le pays et ses murs par les tiges de l’osier dont il met les unes en travers et les autres viennent s’y nouer ; — sans qu’on sache, sans qu’on s’en doute, bien tranquille et silencieux, sur la place, sous les platanes, tout seul dans sa chemise grise et avec son tablier vert, faisant bouger ses mains au-dessus de son tablier vert.
Et voici qu’à Ramuz se mêle dans mon esprit Anita Pittoni, tisserande d’art, éditrice et écrivaine de Trieste que j’évoquais ici en janvier dernier, et qui écrivait vingt ans plus tard dans son Journal :
Pour moi, l’écriture se fabrique exactement comme un tissu, elle me ramène vraiment à mon humble travail artisanal et j’ai été ravie quand je me suis rendu compte de cette concordance ; la même loi me régit, me fait exécuter les mêmes mouvements, si bien que la matière et la structure du tissu, fait de mailles qui s’enchaînent plutôt que de fils tendus, suivent le fil de mes pensées (28 octobre 1944).
Une des choses qui rassemble ces deux auteurs dans leur perception du travail d’écrire, c’est l’humilité. Besson exerce ce que Ramuz nomme un « petit métier », et Pittoni a parfois le sentiment de se livrer à un “ouvrage de dame”.
Michaux dirait d’eux qu’ils ont « besoin de leur petitesse pour sentir ».
J’ai aussi besoin de leur sensibilité pour allonger, mèche après mèche, ma tresse de lectrice.
Grandeur et petitesse
Je reviens sur cet aphorisme des Poteaux d’angle de Michaux que je donne aujourd’hui au complet :
Certains ont besoin de leur petitesse pour sentir. D’autres font appel à leur grandeur. Certains ont besoin de toi pour se transformer.
Je classe Michaux dans la première catégorie, lui qui écrit, dans Face aux verrous :
A huit ans, je rêvais encore d’être agréé comme plante.
Et je me range dans les « certains » qui ont besoin de lui pour se transformer car j’ai des difficultés avec les écrivains hautains. Ce mot même de hautain, quand je le trouve par exemple chez René Char, m’intimide et me décourage de lire sa poésie. Il faut sans doute que j’aborde ce poète autrement, mettons par son amitié pour Giacometti qui avait, lui, besoin de sa maigreur pour sentir.
Clavier sensible
Je m’aperçois que presque tout ce que gratte ma patte de mouette est un prolongement de la dernière phrase de ma thèse où je voulais esquisser une « histoire littéraire tactile » :
« Si écrire c’est accueillir et étreindre une réalité, lire c’est établir toutes sortes de contacts en mettant en action les yeux, les oreilles, le clavier sensible que l’on a sur la peau ».
Et cela me fait plaisir de savoir que de petites nattes se sont au fil des ans tressées en moi sans que je le sache.
Quelques beaux exemples de ton propos en ce moment dans l’exposition de Beaubourg Elles font l’abstraction:
– Les tapis d’ Harmony Hammond.
– Les oeuvres de Lenore Tawney .
– Les textiles de Shirley Hicks.
Merci, Claude. Malheureusement je n’ai pas eu le temps de voir cette expo !
Innombrables sont les rapprochements d’un travail artisanal et de l’écriture. Fausse modestie, bien souvent. Mais une histoire tactile de la littérature, voilà un concept neuf; voilà qui renverserait joyeusement la perspective !
Je ne connais pas assez Ramuz pour savoir s’il fait preuve de “fausse modestie”, mais la comparaison du poète au vannier sur plusieurs romans m’indique que cette figure n’est pas superficielle pour lui. A côté de cette humilité, je trouve en lui une grande confiance dans le pouvoir de son verbe. Quant à Pittoni, elle fréquentait comme éditrice des poètes comme Stuparitch et Umberto Saba, et avait une authentique modestie. Quant à mon histoire littéraire tactile, je la mène au petit bonheur !