« C’est-pas-ça-pas-ça-pas-ça », s’agite ma pie intérieure. Les états décrits avec autant de précision que de poésie dans Aurélia ne doivent rien aux paradis artificiels, et c’est ce qui les rend aussi rares et admirables :
Ici a commencé pour moi ce que j’appellerai l’épanchement du songe dans la vie réelle. A dater de ce moment, tout prenait parfois un aspect double, et cela, sans que le raisonnement manquât jamais de logique, sans que la mémoire perdît les plus légers détails de ce qui m’arrivait.
Avec une lumineuse simplicité, il dit à la page suivante que sa “mission” d’écrivain est “d’analyser sincèrement ce qu’il éprouve dans les graves circonstances de la vie”.
De même, dans une lettre à Alexandre Dumas qui ouvre Les Filles du Feu, Nerval tente de lui expliquer comment l’imagination en lui « chasse momentanément la raison » (c’étaient les termes utilisés par Dumas pour parler de lui) :
Ce qui n’eût été qu’un jeu pour vous, maître, — qui avez su si bien vous jouer avec nos chroniques et nos mémoires que la postérité ne saura plus démêler le vrai du faux, et chargera de vos inventions tous les personnages historiques que vous avez appelés à figurer dans vos romans, — était devenu pour moi une obsession, un vertige. Inventer, au fond, c’est se ressouvenir, a dit un moraliste ; ne pouvant trouver les preuves de l’existence matérielle de mon héros, j’ai cru tout à coup à la transmigration des âmes.
Jeu pour l’un, vertige pour l’autre ; fastueux romans pour l’un, douloureuse aventure poétique pour l’autre.
Je relève le mot “mission” dans cette confession que je connais bien. Fargue aussi parlait de “mission” : le poète a pour mission de rapporter de la beauté pour tout le monde. Et que de beautés chez Nerval, entre rêve et réalité (dans Sylvie, que j’adore).
Mais la vraie trouvaille, c’est Gérard le Cormoran !