J’ouvre les volets. Un ouvrier dans la rue siffle en travaillant et ça me fait du bien.
En Espagne les gens chantaient souvent en travaillant.
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« Aucune langue n’est langue maternelle », dit Marina Tsvetaeva.
Au risque de m’attirer un certain nombre de « c’est pas ça » je crois plutôt que toutes les langues sont maternelles.
(Il existe, bien sûr, des marâtres).
Le français, l’espagnol, l’anglais, l’arabe, le russe, le chinois et toutes les langues sont pour moi maternelles car elles sont faites de chair, de peau, de grains de la voix. (Est-ce leur faute si des régimes dictatoriaux les corrompent, comme l’analyse lumineusement Victor Klemperer dans LTI, la langue du 3ème Reich ?)
Je comprends le chagrin profond d’André Markowicz quand sa langue la plus maternelle devient celle de l’envahisseur.
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Ma question maintenant est : suis-je monolingue ou bilingue ?
Réponse : je ne suis pas monolingue mais je ne suis pas parfaitement bilingue. Ma langue est indécrottablement le français. Maternel, paternel, grand-paternel, grand-maternel, ancestral. Et scolaire au lycée français de Madrid — avec des nuances, car une petite partie de notre enseignement primaire était dispensé en espagnol. Dans le secondaire notre LV1 était aussi l’espagnol.
Ce bilinguisme imparfait est ce qui me pousse aujourd’hui à traduire de l’espagnol (je n’ai pas envie de traduire autre chose). Dans ma fréquentation de cette langue — maternelle selon ma définition mais pas tout à fait mienne — je retrouve des pans de mon enfance : rochers, arbres, aliments, odeurs, manières de parler, de sentir, de danser, de chanter en arrosant un chantier… et j’en suis heureuse.
je sifflai toujours et siffle encore assez souvent (très fort 🙁 ) en faisant la cuisine et uniquement en faisant la cuisine et presque toujours des refrains que mes enfants en ont marre d’entendre depuis des décennies, par exemple le “que sera, sera” chanté par Doris Day dans je ne sais plus quel film d’Hitchcock, je ne sais pas si c’est un reste de ma famille maternelle espagnole mais ma grand-mère chantait tous les ans à Noël après le repas des chansons que je ne comprenais pas et qui me semblaient interminables et ma tante Carmen, la fille préférée, au nom choisi surement à dessein, était cantatrice, avec elle à Paris, j’avais 8 ans, j’ai vu Rigoletto à l’opéra et pendant des mois j’ai chanté à tue-tête dans les rues de mon village d’Algérie, “comme la plume au vent”.
Merci, Marie-Paule. Un de mes prochains billets de blog pourrait porter sur les langues que l’on chante ou que l’on siffle !
Non, pour moi toutes les langues ne sont pas maternelles ! Inexorablement, le français appartient au père et il en subit l’ambivalence dont je ne peux me défaire. L’espagnol est la langue tendre, chantante, plus secrète. Tu me disais que le français est musical. Peut-être quand les chanteurs d’opéra font rouler ses ‘r’ rocailleux… Ce n’est pas une langue qui attire le chant (mais il y a les Nuits d’été de Berlioz!). En fait, je crois que les langues reflètent nos subjectivités, nos débats inconscients, nos identifications. Penser à elles c’est évoquer des souvenirs. Pour moi, l’allemand devenu inabordable depuis que résonnent dans mes oreilles les chants cadencés de l’occupant dans le couvre-feu de Paris. C’est dire mon âge! Débat passionnant. Gracias y abrazo.
Ah, je me doutais que tu ne serais pas d’accord ! Je répondrai que ce n’est pas moi qui ai trouvé le français “musical”, mais les Aragonais rencontrés le mois dernier ! Moi je n’en sais rien. Ma mère avait une voix douce et chantait dans la voiture avec mon père de vieilles chansons de France. Ta mère nous chantait en espagnol “El Muñequito”, et c’était tout aussi touchant.
Puis, quand j’étais en 3ème, un professeur m’a fait découvrir Verlaine. Quand j’ai été plus grande, j’ai aimé les voyelles du français (beauté du e muet).
Dernière réponse, sur l’allemand : Georges-Arthur Goldschmidt dit des choses terribles sur cette langue (imagine un juif de Hambourg né en 1928…) Mais il la traduit depuis 50 ans !