Sommeil magique

Quand je vais à l’opéra, j’aime rôder pendant les entractes près de la fosse d’orchestre, regarder les instruments posés, les partitions sur les pupitres, deux ou trois musiciens qui s’entraînent en sourdine.

Mardi dernier j’ai connu un instant de grand bonheur lors du deuxième entracte de La Walkyrie qui se donnait à l’opéra Bastille. Les six harpistes jouaient ensemble le thème du sommeil magique qui se répète jusqu’à la fin de l’œuvre. Pas de cuivres, pas de bois, pas de cordes, pas de thème tragique en superposition, juste le timbre angélique des six harpes répétant les notes descendantes du sommeil magique. Nous étions quatre ou cinq spectateurs à les écouter, fascinés. Quand les harpistes se sont tus, l’un des spectateurs a dit : « C’est un cadeau ». Et moi j’ai pensé que si je pouvais entendre ces harpes célestes au moment de mourir j’aurais beaucoup moins peur de la mort.

Photo prise en vitesse pendant le mini-concert.

En attendant je me dirige vers ma place. Mon voisin, un vieux Monsieur bien habillé comme il y en a beaucoup à l’opéra, me dit : “Est-ce que je peux vous poser une question indiscrète ? Si vous n’avez pas envie de répondre vous ne serez pas obligée de le faire”. Curieuse, j’accepte. ” À quel âge avez-vous dit merde à votre père ?” Je bredouille que je ne sais pas très bien et lui demande à mon tour : “Et vous ?” Il répond : “17 ans, peut-être 19”.

Cette question me sort du sommeil magique. La Walkyrie est en effet l’histoire d’une jeune femme qui dit merde à son père et je l’ai fait aussi, à ma manière. À dix-sept ans, peut-être dix-neuf.

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