Un des actes les plus injustes que je connaisse de l’homme envers un animal m’a été donné dans un film d’Abbas Kiarostami, dont un extrait était donné au Centre Pompidou en 2008, lors de la passionnante exposition croisée Kiarostami-Erice. Une tortue progresse lentement sur une pierre, sur l’herbe, sur la terre. La caméra la filme de très près en train de cheminer et prend le temps, en sympathie avec elle, de suivre ses montées et ses descentes sur les petits accidents du terrain. Un homme, près d’une voiture, regarde la tortue. Est-il un double du spectateur ? du réalisateur ? Il la prend dans une main, la met sur le dos et s’en va. La cruauté de cette séquence m’a d’autant plus saisie qu’elle était isolée dans un téléviseur de l’exposition et qu’il n’y avait ni paroles, ni contexte, ni rien qui explique, entoure, émousse, édulcore le geste. L’homme ne semblait même pas éprouver cette curiosité excitée qu’ont les enfants à torturer des bestioles et à les voir se débattre. Impassible, il perturbe l’ordre du monde et se retire.
J’ai appris récemment que cette scène appartenait au film Le Vent nous emportera, que le personnage retournait la tortue par mauvaise humeur contre ses employeurs, et que Kiarostami était lui-même d’humeur exécrable car les conditions du tournage étaient difficiles. J’ai été soulagée d’apprendre aussi que la tortue se remettait sur ses pattes dans le film et que la vie continuait. Il n’empêche que ce geste tel qu’il m’a été projeté est resté gravé en moi comme l’acte arbitraire par excellence. Kiarostami ne se serait sûrement pas formalisé que j’isole dans son film, grâce à l’exposition du Centre Pompidou, cette terrible fable.