Il existe des plasticiens qui fabriquent des huttes et des tours de livres, mais je ne me sens pas très attirée par ces réalisations où la maison est impénétrable et ses briques illisibles. Les livres pour moi ne sont pas des objets sculpturaux ou architecturaux à contempler. Ce ne sont pas non plus des éléments de décor, à moins que je ne veuille un jour, comme le capitaine Haddock, déguiser des coffrets de whisky en une rangée de faux livres.
Si une bibliothèque était pour moi une maison, ce serait davantage à la manière de ce vieillard dément dont parle Geneviève Peigné, pris de la manie compulsive de s’allonger par terre et de se couvrir de livres pour se constituer une peau, un manteau, un toit contre les menaces du monde extérieur et intérieur.
À Paris j’ai des bibliothèques dans toutes les pièces de mon appartement. Derrière mon bureau, à portée de main, il y a ceux que j’appelle ma « garde rapprochée ». Je les ai placés là soit parce que je les consulte régulièrement – comme le Quichotte ou un vieux Pléiade de Baudelaire – soit (ou aussi) parce que j’ai l’espoir qu’en les ouvrant au hasard je vais trouver exactement ce que j’attends : la phrase qui donne l’élan, relance le courage, atteigne un cœur. Ouvrir le livre, déclencher l’étincelle, fermer le livre, Bernard Noël dit que ça relève « de la consultation oraculaire », et il est vrai que plusieurs livres d’aphorismes font partie de ma garde rapprochée : Poteaux d’angle de Michaux, Lichtenberg traduit par Billeter, les Voix réunies d’Antonio Porchia, les Entretiens de Confucius…
À Merville j’ai une armoire-bibliothèque qui renferme les Pléiades et les livres espagnols dont j’ai hérité (je remercie en passant mes frères et soeurs de me les avoir laissés). Quand je sais que je vais retrouver ma bibliothèque de Merville, je me dis parfois en me trompant : « Je vais à Bermicourt » – village où demeurait mon père – comme s’il m’avait légué avec ses livres un coin de sa maison, une maison dans sa maison.
Ma maison-bibliothèque de Merville-Bermicourt a des portes vitrées où se reflètent le cerisier et les nuages qui passent, « les merveilleux nuages ».
Elle contient le temps et le monde.
J’adore ton rapport aux livres … franchement moi les pléiades ça m’aurait encombrée à mort … heureusement que tu les voulais D’ailleurs j’en ai 2 autres à la maison que je vais te donner en héritage anticipé, car ils prennent la poussière pour rien . Moi je n’ai aucun amour pour l’objet livre . J’aimerais avoir le courage de les donner une fois lus , car à part “belle du seigneur ” je ne relis jamais rien ..