Le sillage du roman Marie-Claire de Marguerite Audoux, relu et chroniqué en mars dernier (voir lien en fin d’article) ne s’est pas encore effacé en moi. Comme pour Coetzee avec son “abattoir de verre”, ma mémoire a surtout gardé dans ce livre la relation de l’humain à l’animal.
Marie-Claire, jeune bergère, se voit un jour ajouter une chèvre à son troupeau de moutons : « Cette chèvre était plus difficile à garder que le troupeau tout entier ». Et en effet, à lire les pages qui lui sont consacrées, le lecteur éprouve pleinement l’étymologie du mot « caprice ». Cette chèvre désorganise le troupeau en disparaissant tous les jours dans un bois de jeunes sapins et oblige Marie-Claire à aller la chercher en se piquant aux branches. Pendant ce temps les moutons sans surveillance en profitent pour brouter les futures récoltes d’un champ d’avoine, et la bergère se fait réprimander.
Mais heureusement :
Comme je sortais un jour de la sapinière avec mes cheveux tout défaits, je fis un mouvement de la tête qui les ramena en avant. Aussitôt, la chèvre fit un bond de côté en poussant un bêlement de peur. Elle revint sur moi, les cornes basses ; mais je baissai la tête en secouant mes cheveux qui traînaient jusqu’à terre ; alors elle se sauva en faisant des cabrioles impossibles à décrire. Chaque fois qu’elle entrait dans la sapinière, je me vengeais en lui faisant peur avec mes cheveux.
Tête baissée, barbichue, fantasque, la bergère est devenue plus chèvre que la chèvre.
Comme toute littérature vraie, ce livre redonne leur sens propre à des expressions que nous employons, sans y penser, au figuré.
(A suivre)
lien vers l’article de La Cause littéraire : http://www.lacauselitteraire.fr/marie-claire-marguerite-audoux-par-nathalie-de-courson?fbclid=IwAR28j37QTKbgL8upv-qdrmAnrDAWnqZ0Nz_5MlNhjY9TL5-jY3yzzL0pq48
J’ai de plus en plus envie de lire ce livre 🙂
Merci beucoup. J’ai aussi très envie de lire ce livre de Marguerite Donquichotte (cela ne s’invente pas). J’avais remarqué sa présence dans la ville de Bourges visitée cet automne ainsi que celle de Vladimir Jankélevitch qui y est né et Simone Weil qui y enseigna en 1935.
D’après le site la Républiques des Lettres:
Marguerite Audoux (pseudonyme de Marguerite Donquichotte) est née à Sancoins (Cher) le 7 juillet 1863.
Elle raconte elle-même sa vie dans son livre Marie-Claire (1910), qu’aimait Charles-Louis Philippe, et qui fut préfacé et lancé par Octave Mirbeau. À l’âge de trois ans, elle perd sa mère, emportée par la phtisie. Son père, un charpentier alcoolique (enfant trouvé que l’employé d’état civil a baptisé “Donquichotte”), l’abandonne avec sa soeur aînée. Elle passe son enfance dans un orphelinat religieux à Bourges.
En 1877, à 13 ans, Marguerite est placée dans une ferme de Sologne, à Sainte-Montaine, près d’Aubigny-sur-Nère, où elle mène une vie de bergère et de servante de ferme.
En 1881, elle doit fuir à Paris. Elle fait de la couture payée à la journée. Elle travaille également à la Cartoucherie de Vincennes et à la buanderie de l’Hôpital Laennec. Elle lutte contre la misère et la faim. En 1883, elle a un enfant qui ne survit pas. De plus, elle souffre des yeux, et les médecins lui conseillent d’arrêter la couture sous peine de devenir aveugle.
En 1895, elle prend le nom de sa mère: Audoux, puis entreprend de raconter ses souvenir dans des cahiers d’écolier: Marie-Claire.
Jules Iehl, alias Michel Yell en littérature, ami d’andré Gide, la présente à un petit groupe d’écrivains: Charles-Louis Philippe, Léon-Paul Fargue, Valery Larbaud, Léon Werth et Francis Jourdain, qui découvrent à leur tour le manuscrit de Marie-Claire.
Autobiographie romancée, Marie-Claire reflète, selon Charles-Louis Philippe, “tout ce que peut contenir de malheur matériel et de douleurs morales la vie des pauvres”. Le livre, préfacé par Octave Mirbeau, remporte le Prix Femina.
Malgré ses succès littéraires, Marguerite Audoux meurt pauvre et oubliée à l’hôpital de Saint-Raphaël (Var) le 31 janvier 1937, à l’âge de 73 ans.
Merci, mes amis !
Il y a un autre élément dans la biographie de Marguerite Audoux que je n’ai pas mentionné, concernant sa rencontre avec les écrivains de la NRF. Elle avait sous sa tutelle sa nièce de 16 ans. Un jour elle découvre que sa pupille se prostitue avec un jeune homme qui n’est autre que Michel Yell. Elle va le voir, lui fait la leçon, devient son amie, sa maîtresse, il trouve “Marie-Claire” dans un tiroir et en parle à ses amis. La vie à Montparnasse en 1908 ! Gide parle d’elle en bien dans son “Journal” au moment de la mort de Charles-Louis Philippe : “Ah ! que la qualité de sa douleur me paraît belle !” (p. 279 et suivantes).
Claude, le titre de cet article en espagnol serait bien sûr : “Estar como una cabra”. Entre “cabrearse”,”cabron”, “cabrito”, etc. la chèvre inspire bien des expressions, sans rivalité comme en français avec la vache !
La cabra siempre tira al monte. Belle expression aussi.
A propos de vache, je viens de faire un nouveau billet “patte de mouette” que j’ai programmé pour mercredi !