Pour D. L.
Je ne suis pas érudite et assez peu romanesque. J’avance lentement dans la lecture d’un roman, avec de fréquents retours en arrière, du mal à me concentrer. Mais soudain, certaines phrases mettent fin à cette langueur et me touchent à vif comme cette comparaison trouvée récemment dans Monsieur Ouine de Bernanos, aussitôt recopiée : “[…] comme un jeune chat passe brusquement de la pelote de laine à la proie vivante, et du jeu au meurtre ».
Je m’aperçois que les textes qui m’éveillent le plus, qu’ils soient écrits en prose ou en vers, sont ceux qui traversent quantité de petits sujets, contiennent un foisonnement de perceptions, d’émotions, et surtout évoquent de brusques dissonances, une rupture inattendue d’harmonie qui secoue la phrase. J’ai été immédiatement captivée quand j’ai lu, à l’âge de vingt ans, Le Planétarium de Nathalie Sarraute dans le cadre d’une unité de fac sur le Nouveau Roman. J’étudiais Robbe-Grillet par devoir, Beckett avec intérêt, mais Nathalie Sarraute me parlait de ce que je ressentais obscurément depuis toujours. J’étais ravie comme Monsieur Jourdain d’avoir des tropismes sans le savoir, et reconnaissante envers l’auteur d’avoir consacré sa vie à mettre au jour des sensations que dans ma timidité je trouvais brumeuses, peut-être honteuses, en tout cas indicibles.
Je ne suis pas attirée en littérature par les esprits chagrins (il y a quelques exceptions) et suis transportée par les écrits qui révèlent une tendance primesautière, insolente, intempestive, incongrue, pieds dans le plat, une « belle humeur », comme dit Nietzsche dont je lis en ce moment Ecce homo sans distance et peut-être sans rien comprendre, pour qu’il me transmette une énergie dans sa recherche de “comment on devient ce qu’on est”.
J’aime les livres à picorer, ruminer, éventuellement piller.
C’est Colette qui écrit : ” Moi, c’est mon corps qui pense. Il est plus intelligent que mon cerveau. Il ressent plus finement, plus complètement que mon cerveau. … Toute ma peau a une âme.” (La retraite sentimentale)… Alors picorons et ruminons…
“Toute ma peau a une âme”… Joli ! Je picore. Merci, JFrançois Chenin 🙂
Je pourrais signer ce blog! Etonnant, comme je me sens proche de tes goûts, de tes recherches… Oui, oui, picorer, piller ! Quel bonheur quand le bon grain brille et que tout devient léger, amical, supportable…
Un abrazo
Je viens de récupérer, cher Jacques, ce commentaire placé encore inexplicablement dans les “indésirables” par mon hébergeur WordPress (à qui je vais signaler ces erreurs). Merci de ta participation qui m’encourage beaucoup !
Bonjour Nathalie,
Ce n’est que récemment que j’ai eu connaissance de votre recueil de pensées et de souvenirs. Je reste abasourdi par la multiplicité de vos sources, et l’étendue des connaissances nécessaires pour relier un texte et le développement d’une idée. Aussi, ce que vous nous apprenez sur votre méthode m’éclaire. Il faut que j’y réfléchisse : permettez-moi de revenir avec éventuellement quelques questions. D’une manière ou d’une autre, vos croquis, brefs ou développés, littéraires ou pas, généraux ou personnels sont des friandises délectables. Ne nous en privez pas.