Deux notes de fin de mois

♦ Espaces urbains (PS du billet précédent)

Me promenant ce matin près du pont des Arts, je me dis que les spectaculaires déboulonnages du plasticien Iván Argote ont beau être fictifs, ils flattent un esprit de révolte un peu juvénile, facile, etc.

Et je vois une plaque discrètement clouée au pied du pont, pas très loin d’une poubelle.

Le texte dit :

A la mémoire de Vercors / (Jean Bruller) / co-fondateur en 1942 des Editions de Minuit / avec Le Silence de la Mer / et des ouvriers du Livre / Qui par leur dévouement, au péril de leur vie sous l’occupation nazie, / ont permis à la pensée française de maintenir sa permanence et son honneur.

Puis je me demande si j’aurais eu l’idée de regarder ce qui se passe à mes pieds avant d’avoir vu la performance d’Argote.

♦ Je ne connais pas la monotonie de la répétition…

… dit Jacques Lèbre.  Je peux me promener tous les jours sur un même chemin sans jamais en éprouver de l’ennui. Entre soi-même aux états d’âme changeants et le dehors aux états d’âme tout aussi changeants il ne saurait y avoir de répétition, encore moins de monotonie. (A bientôt, p. 101).

 Rien à ajouter tant la formulation est nette et complète. Ma récente émotion sur le Pont des Arts en est une preuve.

Un petit grain de sel, pourtant : se promener tous les jours sur un même chemin est reposant pour des gens qui n’ont pas le sens de l’orientation. (Je sais de quoi je parle).

 

 

 

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Statuoclastie

Pour la Yoyo

Statuoclastie est le nom que donne l’historien Bertrand Tillier à l’actuelle vague mondiale d’atteintes à des statues jugées emblématiques du colonialisme et des inégalités raciales. Il comprend plus généralement – car le phénomène est loin d’être nouveau – les déboulonnages des statues de rois ou de dictateurs à travers l’histoire (voir Le Monde des Livres du 18 novembre dernier).

Je voudrais parler d’une œuvre qui m’a personnellement frappée, actuellement présentée au centre Georges Pompidou (prix Marcel Duchamp 2022) : la performance vidéo de l’artiste colombien Iván Argote, mimant le retrait de trois monuments à Paris, Rome et Madrid.

(…) A Paris, mon équipe et moi, grimés en agents municipaux avec une grue, avons fait semblant de déboulonner la figure de Joseph Gallieni, ce militaire chargé de la stratégie coloniale française à la fin du 19e siècle. (…) On passe devant et on ne regarde pas. Pourtant celui-ci a un piédestal sacrément misogyne ! Gallieni est ainsi soutenu par quatre femmes de races différentes.

Cette “statuoclastie” d’Argote me semble originale : parce qu’elle est fictive, et parce que Gallieni, comme il le suggère, n’évoque pour la plupart des Parisiens qu’un bout de ligne de métro. Renseignements pris, ce général a en effet mené des opérations brutales en Afrique, en Indochine, et surtout à Madagascar où il a fait massacrer une tribu.

Ceci résonne en moi, car certains de mes ancêtres étaient des officiers coloniaux, des mini-Gallieni représentés en uniforme sur les murs de l’escalier de la maison paternelle, non loin de l’arbre généalogique (où les femmes ne figuraient que par une initiale, comme je l’ai dit ailleurs). Ce basculement magique de mes vieilles statues du Commandeur, cette matérialisation spectaculaire de mes déboulonnages intimes ne pouvait que frapper mon imagination.

Mais ce qui m’a d’une autre manière émue, c’est l’élévation dans les airs, très bien filmée, de la statue de Christophe Colomb qui se tient à Madrid en face de l’appartement où j’ai vécu enfant pendant treize ans. Il est toujours étrange de voir s’envoler un monument familier que l’on croit inamovible.  En Espagne, la date du 12 octobre – débarquement de Colomb en Amérique – est celle de la Fête Nationale appelée  à l’époque Día de la Raza (et aujourd’hui plus sobrement Fiesta Nacional de España). Dans le film, Colomb est amarré,  couché dans un camion et transporté par les rues de la ville, ce qui m’a fait mieux saisir à quel point le surplomb symbolique de cette statue est considérable.

Les spectateurs regardent au Centre Georges Pompidou cette performance filmée assis ou allongés sur des coussins de velours gris qui ressemblent volontairement à des ruines de stèles, de monuments (et involontairement à la moquette du salon de mes parents à Madrid).

« Est-ce qu’on pourrait imaginer un espace public plus horizontal ? » demande Iván Argote.

Volontiers. Mais on a aussi besoin de lever les yeux, dans une ville. Vers quoi ?

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Trois moments arlésiens

Leili Anvar est traductrice du persan*. Pour traduire la poésie, dit-elle, l’essentiel réside dans le sens métrique du traducteur qui s’acquiert avec la connaissance par cœur d’au moins 200 poèmes français. Avec cette saine assertion, on ne s’enlise pas dans les débats théoriques.

*Voir notamment Le Cantique des oiseaux de Attar aux éditions Diane de Selliers, 2014, et en 2022 une anthologie de poèmes, Le Cri des femmes afghanes chez Bruno Doucey.

***

Marion Graf (traductrice de l’allemand – en particulier de Robert Walser – et directrice de la Revue des Belles Lettres) me fait découvrir deux poètes allemands : Klaus Merz et Werner Lutz. Dans sa pratique de la traduction l’interprétation a lieu à la fin, après beaucoup de tâtonnements. Elle commence par un mot à mot strict pour bien s’imprégner de la syntaxe de l’auteur, puis amène par petites touches le texte à la syntaxe du français.

J’ai noté ces vers de Werner Lutz :

Brusquement le chemin
fourche et chacun peut s’en aller
où il veut

***

Atelier de traduction du chinois (langue dont j’ignore tout, mais le cas est prévu).

Nous découvrons un texte de Eileen Chang (Zhāng Àilíng), qui parle de sa ville de Shanghai sous occupation japonaise en 1944. Je rafistole le mot à mot donné par la traductrice-animatrice Emmanuelle Péchenart, ce qui donne à peu près ceci :

“Un soir à 10 heures, je lisais un livre sous ma lampe, quand, de la caserne voisine, un clairon s’est mis à sonner quelques accents simples, montant et descendant dans cette grande cité bouillonnante où il est si difficile de rester simple de cœur”.

J’ai trouvé émouvante cette écoute directe d’un instrument solitaire qui suspend un instant le tumulte de la ville (et l’envahisseur que pouvait lui évoquer le clairon militaire).
Mes collègues d’atelier rejetaient le mot cœur et cherchaient des synonymes sur leur smartphone. De mon côté je voulais garder le mot. J’aimerais que, grâce à la traduction des langues asiatiques, on puisse débarrasser coeur de ses connotations mièvres pour lui redonner en français son sens plein de centre de l’être et siège de toutes nos émotions. C’est peut-être trop demander ?

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Traduire la musique

Ces Assises de la traduction d’Arles, accessibles et stimulantes, ont allumé des petites lumières en moi.

Il me semble qu’un traducteur ne peut pas être un pédant. Il peut émettre une théorie, faire les traités de traductologie les plus dogmatiques, mais sa recherche reste tâtonnante. Traduire est plus une aventure qu’une science. Le texte de départ se tient là, et le toucher, c’est d’abord l’entendre.

Et si ce texte parle de musique…

Une des premières conférences des Assises était intitulée Ecouter pour traduire, traduire pour écouter, avec Sacha Zilberfarb, traducteur de l’allemand, et Fériel Kaddour, pianiste et musicologue. Sacha Zilberfarb vient de traduire le Beethoven d’Adorno, 400 fragments hétéroclites écrits sur 30 ans dans une langue abstruse et intimidante que certains appellent « adornallemand ». Mais, si j’ai bien compris la conférence, le traducteur français s’aperçoit que cette langue cherche constamment à se tenir au plus près de la musicalité de son objet. La traduire, c’est comme déchiffrer une partition sur une partition de Beethoven.

A un moment, par exemple, Sacha Zilberfarb est tombé, à propos du Trio n°7 à l’Archiduc, sur un terme que, n’étant pas germaniste, je n’ai pas retenu, et qui évoque une rupture, quelque chose que l’on tire en arrière. Or, à l’écoute, la musique décrite dans ce passage est fluide. Sacha Zilberfarb intrigué s’adresse alors à Fériel Kaddour qui, après une réécoute attentive, lui montre (et nous montre sur le piano) que malgré la limpidité du passage, s’y trouve une forme de rupture harmonique, une modulation douce, « comme si quelqu’un se mettait à lire Homère à voix basse et pour lui-même ». Pour rendre ce mot en français, ils ont finalement choisi un terme relativement neutre : « changement de ton ».

Derrière l’épaule d’Adorno, les traducteurs musicologues inventent donc leurs propres écarts en retournant à la source musicale. « Aller et venir sans cesse entre trois pôles, disent-ils : la langue d’origine, celle d’arrivée, et comme pivot entre les deux, la langue sans mots de la musique ».

Précision et liberté.

Beethoven, Trio n°7, 1er mouvement, Allegro moderato :
https://www.youtube.com/watch?v=NHPWU9bKcc4

(D’autres moments des Assises seront donnés dans un prochain billet.)

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Le Marquis de Sade de Marie-Paule Farina…

… est un joyeux drille plus amoureux des mots que des actes pervers. Je l’avais déjà remarqué dans son livre Le Rire de Sade (2019), mais Voilà comme j’étais, paru en 2022 aux jeunes Editions des instants, est encore plus audacieux par le parti qu’a pris Marie-Paule Farina d’écrire une autobiographie fictive entrecoupée de quelques extraits de l’œuvre de Sade. Ce qui me frappe, dans ce Marquis à qui la parole est plaisamment donnée, est son intense vitalité, avec cette passion d’écrire qui le tient malgré les longues années de prison, l’asile de Charenton, la saisie régulière de ses cahiers par la police…

D’où me vient ce flux de mots que rien ne parvient à endiguer ? Grâce ou malédiction, comment aurais-je survécu, si je n’avais eu en moi ce pouvoir d’enfanter encore et toujours les personnages chimériques peuplant à mon gré les culs de basse fosse où l’on m’a régulièrement enterré ?

Et aussi :

Plus ils brûlent, plus ils censurent, plus je crée, plus j’invente. Et c’est toujours leur portrait qu’ils brûlent ! Je n’étais pas content du premier jet des « Journées », ils m’en ont débarrassé. Ils ont brûlé les sept premiers cahiers de l’histoire d’Adèle, je l’ai refaite en 72 cahiers (…)

Et mieux encore :

(…) Jamais je ne comprendrai un écrivain assez imbécile pour affirmer qu’on reconnaît un bon poète au nombre de pages qu’il n’a pas écrites ; moi, on me reconnaîtra, si l’on me reconnaît un jour, au nombre de pages que j’aurai, envers et contre tout, réussi à écrire. L’écriture ou les travaux d’Hercule de M. de Sade !

 

Cette opiniâtreté qui fait l’écrivain, cet « envers et contre tout », cette énergie, cette bonne humeur persistante sont aussi ceux de l’autrice dès le sous-titre en forme de « nonsense » : Autobiographie posthume. L’exergue de Lewis Carroll nous le dit : comme Alice avec le roi dans De L’autre côté du miroir, Marie-Paule Farina a saisi le crayon qui dépasse l’épaule du Marquis pour écrire à sa place. Son humour, sa finesse et sa grande connaissance de Sade lui rendent possible ce que nul n’aurait osé faire.

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Les livres qui font lever les yeux

M’installer avec un nouveau livre de Jacques Lèbre pour un voyage en train de deux heures, crayon dans la main droite, carnet sous la main gauche : « 121 pages d’un livre de notes bien aéré… J’aurai fini en deux heures », jugeais-je.

« Jujèje»… (parfois des sonorités me distraient de ce que je veux dire, comme une adolescente qui pouffe à un cours). Je jugeais… j’estimais que lecture et trajet coïncideraient, sans tenir compte de deux choses :

– Que dans un voyage en train à l’étage supérieur, côté fenêtre, par matinée ensoleillée d’automne, on est amené à lever le nez.
– Que Jacques Lèbre se lit nez en bas nez en l’air “et dans tous les sens”.

« Se lit »… j’ai l’air de faire une injonction. Or justement les notes prises par Jacques Lèbre sur dix ans échappent aux injonctions, mélangeant remarques et souvenirs personnels avec des citations d’auteurs aimés.

Par exemple :

Piaillements du matin, plus concentrés, comme un tourbillon toujours à la même place – quelque chose de noué, une boule de piaillements dans la gorge de l’air.

Comment expliquer ce critère de lecture absolument infaillible que je formule ainsi : il faut que je sente quelqu’un derrière ce que je lis.

Ces deux derniers vers d’un poème de Stefan George, traduits par…

Mon train passe trop vite et trop près pour que je puisse lire le nom des gares. Petite frustration.
Le ciel est bleu presque partout. Lèbre parle des nuages qui filent vite, effilochés.

Je pense « buanderie » en me demandant où j’ai lu ce mot récemment, puis je me souviens : c’est chez Christian Bachelin.

Ces mots qui vous traversent… Mes nuages à moi par la fenêtre de ce train n’ont rien d’une buanderie. Nets, légers, angéliques… Un avion trace sa ligne, croise le reflet de la rampe lumineuse du train (pourquoi cet éclairage artificiel en plein jour ?) Les nuages avancent vite aussi, très blancs comme des mantilles, plutôt sortis d’un lavomatic que d’une buanderie.

Les faibles variations d’intensité de la lumière sur la page pendant la lecture, et comment c’est une plus grande clarté qui fait soudain lever les yeux du livre.

… « le ciel étoilé tranquille, vissé d’astres. » (Paul Valéry). C’est bien sûr quand il se fait le plus sensible (et il l’était !) que je suis le plus touché (…) Ces moments où il est finalement assez proche d’un Philippe Jaccottet.

Enfin le train passe plus lentement devant une gare et j’ai le temps de lire « Bueil ». Ce nom a quelque chose de vaporeux. Buanderie ? Par la fenêtre, des lacs avec des cygnes. Jacques Lèbre m’y accompagne :

Les cygnes, comme s’ils avaient encore agrandi le silence. Mais cela n’est pas tout à fait exact. Ce sont eux qui étaient aussi le silence. Grâce à eux, le silence se faisait soudain plus palpable, il devenait soudain visible, délimité dans un corps animal.

Parc Montsouris, cygne noir d’Australie.

Des phrases négatives m’enchantent maintenant dans mon livre, comme cette citation de Tchekhov :

Il n’y a pas besoin de sujet. La vie ne connaît pas de sujet, dans la vie tout est mélangé, le profond et l’insignifiance, le sublime et le ridicule.

Ou cette simple assertion que le poète tire de lui-même :

En matière de poésie : pas d’autorité.

Mon train arrive à Caen à la page 58. A bientôt m’a déjà donné envie de lire ou relire une dizaine d’auteurs et de recopier autant de phrases sur mon cahier de citations.

La deuxième moitié de ma lecture se passe le soir au coin du feu. Je reviens en arrière, repars en avant. Jacques Lèbre entend des oiseaux, croise sur sa route des chevreuils, des biches… parfois mon feu crépite comme des coups de fusil et je sursaute.

Et voici qu’à la page 121 une citation de Peter Handke, ou de Ludwig Hohl par Handke,  dans ce long ruban qui ondule entre les esprits, semble être là pour me tenir lieu de conclusion :

Les meilleurs livres sont ceux qui sans cesse vous font vous arrêter, lever les yeux, regarder les alentours, respirer profondément, se laisser éclairer par le soleil…

 

 

 

 

 

 

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Trois petites notes de novembre

P.S. Sur le peintre Juan Sánchez Cotán

Sánchez Cotán est, selon le catalogue de l’exposition « Les Choses » du Louvre (sous la plume de Charlotte Chastel-Rousseau), le principal initiateur du genre des bodegones, objets et scènes de cuisine, qui se développa en Espagne à partir du XVIIème siècle.

***

Bonne intelligence

Paul avait l’habitude d’être intelligent. Quand il ne comprenait pas il faisait comme s’il comprenait. Et souvent ça passait. Pierre avait la même habitude. Un jour, Paul et Pierre se sont rencontrés. Ils ne parlaient pas la même langue mais se sont comportés comme s’ils se comprenaient. Et ça a passé.

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Griffomanie

Quand ma patte était de mouette, j’avais indiqué, sur le côté droit de la page d’accueil “blog de griffomane”. C’était par timidité plus que par agressivité : comme si je n’étais même pas digne d’être une simple graphomane. Maintenant j’ai pris de l’assurance et mon blog n’est plus de griffo ni de grapho. C’est juste un lieu d’exercice.

 

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Avec un tableau de Juan Sánchez Cotán

Juan Sanchez Cotan, “Fenêtre, fruits et légumes”, vers 1602. Madrid, collection Abello.

Comment se fait-il qu’en entrant dans une salle d’exposition notre œil soit immédiatement attiré par telle chose plutôt que telle autre ? Comment se fait-il que dans une exposition du Louvre appelée « Les Choses », je me sois arrêtée sur ces citrons, ces carottes et ces choux du peintre tolédan Juan Sánchez Cotán contemporain de Cervantes (1560-1627) ?

Mon attention a peut-être été retenue par tout ce que le tableau ne contient pas et que des tableaux voisins contiennent. Ici, pas de fond de paysage, pas de Christ visitant Marthe et Marie, pas de symbole des divers sens, pas de composition décorative dans un compotier, pas de décomposition signalant une vanité. Les légumes sont suspendus par un cordon on ne sait pas à quoi. Le mot « fenêtre » figure dans le titre mais c’est tout.
Ces choses sont là, regardées avec attention, peintes avec amour. Chacune existe avec son grain et sa lumière propres. Elles sont là frontalement, comme un enfant qui vous regarde droit dans les yeux.

(Au risque de susciter un « c’est pas ça » de la part de gens avertis, j’ajouterai que cette simplicité et cette rigueur de composition me font penser à Morandi ou à Juan Gris.)

Une biographie Wikipédia m’informe que deux ans plus tard, en 1604, Sánchez Cotán, quadragénaire, prononçait ses vœux de moine et partait pour la Chartreuse de Grenade où il a fini ses jours une bonne vingtaine d’années plus tard.

 

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Lecture sur l’oreiller

C’est une joie, la nuit, de picorer sur l’oreiller quelques Notes de chevet de Sei Shônagon, dame d’honneur à la cour impériale du Japon dans les premières années du XIème siècle.

On est étonné de cette écriture au fil du pinceau, si loin de nous dans le temps, l’espace et l’univers évoqués ; parfois étrange et parfois singulièrement familière dans sa précision, sa pertinence et sa liberté.

Les notations prennent souvent l’apparence de listes qui peuvent se développer en petites scènes.

Dans la liste des Choses détestables :

Un visiteur qui parle longtemps alors qu’on est pressé. Si c’est quelqu’un de peu d’importance, on peut le congédier en lui disant : « Plus tard ! » mais si c’est un homme avec qui l’on doit se gêner, la chose est très détestable.

En frottant le bâton d’encre de Chine sur la pierre de l’écritoire, on rencontre un cheveu qui s’y est introduit. Ou encore, un petit caillou était caché dans ce bâton d’encre, et il grince : « gishi-gishi ».

Parmi les Choses contrariantes, en voici une que connaissent tous les gens qui écrivent :

On envoie soi-même un poème à quelqu’un, ou bien on répond par une poésie à celle qu’un autre vous adressa, puis, après que l’on a écrit et envoyé ces vers, on pense à corriger un ou deux mots.

En voici une autre, que connaissent tous les gens qui éteignent leur ordinateur en oubliant d’enregistrer leurs documents :

On a cousu quelque chose à la hâte, on croit avoir fini ; mais quand on tire le fil de l’aiguille, on s’aperçoit qu’on n’avait pas noué, en commençant, le bout du fil.

Et parmi les Choses gênantes :

Un homme récite ses propres poésies, que l’on ne trouve pas particulièrement belles, et rapporte les louanges que les gens en ont faites.

Cette dernière notation nous est particulièrement cuisante à  l’ère des réseaux sociaux !

Avec des illustrations de Hokusaï, relié en tissu à la japonaise, édité en 2014 par Citadelles et Mazenod dans la traduction d’André Beaujard (du moins je le suppose, car aucun nom de traducteur ne figure sur la couverture. La version Gallimard est plus maniable en lecture de chevet).

Pour une lecture plus détaillée du livre, voici un autre blog de lectrice : http://textespretextes.blogspirit.com/archive/2011/10/06/une-dame-de-la-cour.html#article-comments

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Le Bon et le Mauvais

Je relis au café un conte babylonien qui m’impressionnait beaucoup quand j’étais jeune. Les fils d’un homme riche s’appellent Bon et Mauvais. Les deux frères se haïssent et se font un procès pour l’héritage paternel. Bon, le plus jeune, perd le procès et n’hérite que d’une vache maigre. Un jour, cette vache accouche d’un enfant humain qu’elle s’apprête à piétiner cruellement. L’enfant, un garçon, miraculeusement sauvé par le Dieu Soleil, réconciliera à la fin les deux frères.

Cette légende a quelque chose de si bénéfique, de si lumineux, que j’ai éprouvé un instant de joie intense, au moment de payer mon café avec ma carte bleue, en lisant « code bon » sur la machine.

Tout le mal de l’histoire de ces jumeaux, dit le narrateur, vient de ces prénoms antithétiques de mauvais augure. Je suis bien d’accord avec lui.

Et la vache maigre, que devient-elle ? Elle disparaît magiquement de l’histoire mais je pense parfois à elle.

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