Marie-Paule Farina, dont la mère d’origine espagnole parlait français avec son mari et ses enfants, évoque son rapport à la langue française ainsi * :
Moi, je n’avais pas de langue maternelle, ni écrite, ni orale. Mon français (…) était à la fois langue paternelle, langue de l’école, langue littéraire, mais jamais il ne fut langue maternelle.
Elle se sent proche en cela de Derrida dans Le Monolinguisme de l’autre : « Je n’ai qu’une langue et ce n’est pas la mienne », phrase qui a pour variante : « Je ne parle qu’une langue et ce n’est pas ma langue maternelle ».
Marie-Paule Farina précise que, tout en ayant passé son enfance et sa jeunesse en Algérie, elle n’est pas juive comme Derrida, pas “israélite indigène d’Algérie”, pas dépossédée d’une histoire, d’une langue, voire de nationalité française en 1940. Elle ne se sent pas à plaindre non plus en tant que pied-noir ou femme… Le registre victimaire n’étant pas le sien, elle cherche seulement à dire, et elle dit bien :
Entre les Français et nous tous, il y avait une mer et pour franchir cette mer il fallait être le meilleur, (…) exagérer, toujours exagérer pour tenter, sinon de se faire voir, au moins de se faire entendre.(…) Aucune critique de l’institution scolaire n’aura pu faire taire ce qui ressemblera toujours en moi à quelque « dernière volonté » (…) : parler en bon français, en français pur…
(…)
Parler en « bon français », ne retrouver son accent que dans de rares moments d’émotion et dans le privé, uniquement dans le privé et surtout, surtout qu’à l’écrit cet accent ne se retrouve pas et que rien ne laisse percevoir qu’on est Français d’Algérie.
(…)
Et une phrase importante :
Je suis monolingue d’une langue qu’il m’est impossible de quitter puisque je n’en ai pas d’autre et dans laquelle, pourtant, je me sens toujours sous surveillance.
Cette langue est celle dans laquelle Marie-Paule Farina trace ‒ avec ce manque, cette gêne, cette complexité ‒ son sillon d’écriture.
Car ce qui compte, c’est qu’il y ait langue. Ou du moins, comme dirait Derrida, promesse de langue.
Pourquoi est-ce que ces réflexions me touchent, moi qui me plais à dire – beaucoup trop vite – que j’ai deux langues maternelles ?
À examiner !
* Post Facebook du 3 juillet 2023.