Jeunes Chinois de France

Tout au long du XXème siècle, puis entre 2000 et 2017, la France a connu une abondante immigration chinoise de personnes venant notamment de Wenzhou, agglomération de la province du Zhejiang, au sud de Shangaï. Beaucoup se sont installés à Paris dans le commerce du textile ou de l’alimentaire.
J’ai enseigné le français à leurs enfants, et j’ai appris à connaître ces adolescents dotés d’un bon sens de l’humour et des réalités, mais discrets, sensibles, en butte à l’agressivité d’autres communautés.
Les observations qui suivent ont été écrites entre 2010 et 2017. Peut-être les choses ont-elles, en cinq-six ans, sensiblement évolué. Je l’espère.

1. Leilei

Je lis la rédaction de Leilei sur le « Rossignol » de Ronsard :
Le poète est un petit oiseau discret du village mais non un grand oiseau que tout le monde connaît comme l’albatros. D’après cela, je sais que le poète est discret. Et moi je préfère d’être discret que d’être brillant.
Tellement discrète, Leilei, que deux mois plus tard elle s’est envolée du lycée, comme trois autres Chinois de la première S.
Vie active, dit-on.

2. Yu

A la fin d’un cours de français, le jeune Yu, dont le « tonton » (je ne sais pas au juste qui sont ces tontons) tient un restaurant ouvert jusqu’à minuit, me confie quand les autres sont partis : J’ai vu un poème dans le métro. Le poème dit : « Quand je serai petit je me mettrai dans un sac plein de plumes ». J’aime ce poème.
(A suivre)

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Et comme en post scriptum du billet précédent

La bouteille

Et si tu n’étais plus
Qu’une bouteille imaginée ?

Bien sûr, la même ligne,
Ta couleur de bouteille,
La lumière au travers,
L’horizon pour patrie.

Parti, ton contenu
De vin, de tourbillon
Versable dans le verre,

Rien qu’un spectacle
Inoffensif.

Guillevic, Sphère, Poésie/Gallimard, p. 41.

 

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Couveuses

« Pour faire de l’eau de vie de poire, m’explique Yves en buvant sa goutte avec son café, on introduit, directement sur le poirier, un bourgeon dans une bouteille que l’on accroche avec une corde à une branche solide, et on attend que le fruit mûrisse. La poire dans cette couveuse pousse plus vite que ses voisines. Quand elle a atteint la bonne taille, on détache la bouteille et on la remplit d’alcool. »

Quelle métaphore tirer de cette pratique ? Quelles poires couve-t-on dans les branches  du monde ?

Et qui boira la goutte ?

 Suggestions de Yomi :

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Picorage de janvier

En lisant Henry James,

je pense à tous ces cadeaux, bons ou mauvais, que nous font, malgré nous, les morts.

***

Sur Simone de Beauvoir

Je crois que son livre La Vieillesse est aussi profond, pertinent et important sur la condition des vieillards que Le Deuxième sexe sur celle des femmes.
Mais j’ai du mal à mourir d’envie de le lire. Autant j’ai été ravie de découvrir à vingt ans qu’on ne naît pas femme, on le devient, autant les analyses du devenir vieillard me rendent morne.

***

Le mouvement poreux et changeant de la pensée

En lisant L’Homme sans qualités de Robert Musil, je savoure la manière dont son esprit revient par des réserves ou des précisions sur ce qu’il vient d’énoncer.
Exemple :
Il développe les pensées que remue son personnage dans plusieurs « couches » de son esprit, puis dit :
Bien entendu, il ne faut pas prendre ces couches à la lettre comme s’il s’agissait de différentes profondeurs, de différents sols entassés les uns sur les autres ; elles sont simplement l’expression du mouvement poreux et changeant de la pensée lorsqu’elle se trouve sous l’influence d’émotions très contrastées.

***

 

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Chacun sa voie

Agnès Desarthe enfant détestait lire, explique-t-elle à Arnaud Laporte lors d’une Affaire culturelle de décembre dernier sur France Culture. D’origine juive moldave par sa mère, elle avait le sentiment que les “grands auteurs” français n’étaient pas pour elle car elle n’était pas assez raffinée. “Ce qui m’a libérée de mes complexes en me donnant une armature conceptuelle, dit-elle avec enthousiasme, c’est la découverte de l’hypertextualité”.

Exactement ce qui m’a paralysée.

Hier soir, à la librairie Le Monte en l’air à Paris, s’entretenaient avec le journaliste Alain Nicolas les deux écrivains Benoît Colboc et Aurélie Olivier, tous deux issus du monde agricole. Quand quelqu’un dans le public a demandé comment ils en étaient venus à la littérature, Aurélie Olivier a dit : « Par la bibliothèque du CDI de mon lycée. Ils avaient sur leurs rayons la littérature de tous les siècles ». Benoît Colboc a dit : « Par un professeur de français qui m’a fait lire Maupassant. J’ai vu que les paysans avaient une présence dans les livres. »
Un enfant qui n’a pas de livres chez lui n’est donc pas obligé de passer par Gérard Genette pour apprécier la littérature.

Ouf.

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Triptyque avec illustrations de Yomi

 

Premier volet : Plath n’importe où hors du monde

En lisant le Journal de Sylvia Plath, je suis frappée par le nombre d’injonctions qu’elle se donne : « Je dois », « je veux », « je désespère de réussir », entre les récits de cauchemars et les poignantes successions d’extases et de chagrins.
Une énergie folle.
Quelque chose dans les pages de ce Journal me faisait penser au début du poème en prose de Baudelaire Anywhere out of the world : « Cette vie est un hôpital où chaque malade est possédé du désir de changer de lit ».
Et justement, je suis tombée par hasard sur ceci, daté du 31 mai 1959 :
J’ai une idée de livre ou de recueil de nouvelles dont le titre serait : « This Earth Our Hospital », et j’espère que personne n’en aura l’idée avant. J’en pleure de joie.

Illustration de Yomi

Panneau central : Mitchell dans le monde

En regardant la vie et l’œuvre de Joan Mitchell, j’ai pensé que, née en 1925, elle aurait pu être une grande sœur de Sylvia Plath (1931). Elles se ressemblent un peu physiquement : cheveux bien coiffés mais sans chignon, vêtements plus élégants chez Plath que chez Mitchell qui, pratiquant une peinture très physique, adopte exclusivement le pantalon. Toutes les deux se sont tournées jeunes vers les arts, ont navigué entre l’Amérique et l’Europe, ont épousé des hommes qui pratiquaient le même art qu’elles et avec lesquels les relations ont été tumultueuses.
Et chez toutes les deux, une énergie folle.
On voudrait dire : l’une est tournée vers la mort et l’autre vers la vie. Pas de « cloche de verre » qui sépare du monde chez Mitchell. Un lien intime avec la nature, au contraire, et une volonté de fondre les sensations, les émotions et les réminiscences dans la couleur.
Elle affirme : « La peinture c’est l’inverse de la mort, elle permet de survivre, elle permet aussi de vivre ».

Et pourtant.
En parcourant l’exposition de la fondation Louis Vuitton, j’ai remarqué que plusieurs des grandes œuvres ont été peintes après un deuil important. La mort de sa psychanalyste Edrita Fried donne à Mitchell la rage de peindre un grand polyptique de quatre panneaux dorés. Celle de son ami le poète Franck O’Hara lui inspire un triptyque accordé aux trois strophes de son poème « Ode to joy » qui dit : « Il n’y aura plus de mort ».
Aucune sérénité dans cette célébration de la vie et du monde, mais une fébrilité mélancolique qui n’est pas aux antipodes de celle de Sylvia Plath.

Illustration de Yomi

Deuxième volet : Row row et baskets roses

« Row, row », est un diptyque à dominante bleue réalisé par Joan Mitchell après la mort d’une sœur, dont le titre provient d’une comptine « Row, row your boat ».
Mon œil a été attiré par un petit rectangle blanc sur le panneau de gauche qui m’a évoqué un cercueil, et j’ai pensé : « Row, row your boat… Rame, rame sur l’eau bleue de ta toile ».

Dans la grande salle, il y avait une toute petite fille d’environ un an qui essayait de marcher, chaussée de baskets roses. On devinait que c’était les premières chaussures de sa vie, encore toutes propres. Elle en était ravie et se tenait debout, faisait quelques pas, tombait, se relevait, heureuse et concentrée.

Les spectateurs souriaient, oubliant l’exposition pour regarder cette vie en baskets roses qui ignore encore la mort.

Illustrations de Yomi

 

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Détruire Carthage

Je parlais ici il y a trois jours de l’adjectif verbal latin qui, en position d’attribut, exprimait une obligation. Colenda est virtus se traduit mot à mot par : la vertu est devant être pratiquée, et signifie : il faut pratiquer la vertu.

Carthage, photo wikimedia, copiée du blog de voyage “Les vols d’Alexis”

Je me suis souvenue la nuit d’un autre exemple de cet usage de l’adjectif verbal : pendant la troisième Guerre Punique, qui traînait en longueur car les Romains connaissaient “quelques revers et humiliations” (Wikipedia), Caton l’Ancien aurait dit : Delenda est Carthago. / Carthage est devant être détruite. (L’expression il faut détruire Carthage a depuis été réemployée dans d’autres temps et d’autres guerres).

Je lis régulièrement les poignantes chroniques Facebook d’André Markowicz sur la guerre en Ukraine, et je n’ai pas pu m’empêcher de penser que peut-être, pour la plupart des Romains de 150 avant J.-C, détruire Carthage c’était pratiquer la vertu.

André Markowicz rapporte que Vladimir Soloviov, principal propagandiste de Vladimir Poutine, a entamé l’année 2023 avec cette sentence morale : “La vie, c’est très surévalué”.

Variante à peine euphémisée du “viva la muerte” franquiste.

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Ce qui est devant être

À propos d’un camembert que je sortais du frigo, m’est venue hier matin la phrase : « Ce fromage est devant être mangé ».

Cette bizarre tournure – où devant n’est pas préposition mais participe présent – reflétait exactement ce que l’aspect de ce camembert, à vue d’œil et de nez, me suggérait : un état où il devait être mangé très vite.

Je me suis alors souvenue de ma vieille grammaire latine et j’ai consulté le chapitre sur l’emploi des modes : l’adjectif verbal, employé comme attribut, exprime l’obligation.
Ex : Colenda est virtus. La vertu (est devant être) pratiquée. Elle doit être pratiquée. Il faut, on doit pratiquer la vertu.

La partie entre parenthèses donne le mot à mot dont je me suis étrangement souvenue quelque soixante ans plus tard.

Drôle de chose que la syntaxe. C’est comme une colonne vertébrale, ou un Colisée interne dont on retrouve les morceaux dans une vieille grammaire  recollée.

(J’entends à la radio que Léa Salamé demande a son invitée : “Est-ce que vous avez changé de logiciel ?” Puis qu’en 2023 la ville de Pantin va s’appeler Pantine pour favoriser l’égalité hommes-femmes. Je vérifie sur Internet que ce n’est pas une blague et me sens revenue dans notre millénaire. Avec ce qui est.)

À suivre.

 

 

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C’est l’heure des bilans

A peine ai-je écrit ce titre que j’ai envie de regarder dehors.

Vent dans les bambous. Remue en douceur. Et hoche et penche et tremble.
Petite vie des feuilles et des branches
loin des bilans.

C’est le moment de manger du chocolat.

Vers l’âge de trois ans, comme beaucoup d’enfants, je disais des choses drôles sans le vouloir. Mes parents riaient et j’étais ivre, mais pas longtemps, car il y avait une sœur ou un frère qui disaient : « Nathalie a fait son mot d’enfant ».

Je suis encore hors sujet. Il faut croire que les bilans personnels m’ennuient cette année.
Ceux de l’état du monde aussi.

Le temps passe au presque beau.

Bandes blanches entre les peupliers.

Parenthèses tremblantes et fermes.

 

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Petites notes de décembre

Pieds de plomb

Il y a entre les langues de drôles d’écarts.
Par exemple, le Français qui marcherait “avec des pieds de plomb” aurait, imagine-t-on, le pas pesant d’un éléphant dans un magasin de porcelaine.
L’Espagnol qui marche “con piés de plomo” ne touche le sol qu’avec prudence et précaution, dit le dictionnaire de la Real Academia. L’expression pourrait se traduire par   “marcher sur des œufs”, qui évoque, imagine-t-on, chez les Espagnols, une bouillie de tortilla aux éclats de coquilles.

La traduction est un casse-tête.

Un “rompehuevos” ?

Jean de Brunhoff, La Fête à Célesteville

Il y a dans la littérature enfantine de drôles de situations : la famille Babar fait de l’exploration sous-marine en scaphandre et semelles de plomb. Le polisson Arthur s’amuse à retirer ses chaussures, et plus léger qu’un oeuf, remonte à la surface.

Les enfants ne s’en cassent pas la tête.

Illustration de Yomi

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Trouver un ton

Quand on écrit sur un écrivain, il n’est pas facile de trouver un ton qui ne soit ni pédant, ni familier, ni de cette fausse froideur qui se veut intense, avec des phrases brèves, parfois nominales, pour montrer qu’on laisse entendre beaucoup de choses et que c’est au lecteur de continuer le travail. (J’ai en ce moment sur mon bureau un livre de ce type).
J’aime bien les personnes qui, comme Marie-Paule Farina, parlent de Rousseau ou de Flaubert avec un enjouement, une légèreté affectueuse qui n’est pas de la superficialité mais une adhésion souriante. Quant à écrire « l’autobiographie posthume » de Sade, c’est d’une hardiesse dont je ne connais pas d’autre exemple.

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Signe des temps

Je ne m’étais pas promenée sur le boulevard Raspail depuis le siècle dernier. Les immeubles y ont des plaques majestueuses qui ne sont plus de pneumologues, ophtalmologues, cardiologues, gynécologues et oto-rhino-laryngologues, mais de sophrologues, naturopathes, ergothérapeutes, kinésiologues et aromathérapeutes.

Le bien-être se porte mieux que la santé.

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