Le Marquis de Sade de Marie-Paule Farina…

… est un joyeux drille plus amoureux des mots que des actes pervers. Je l’avais déjà remarqué dans son livre Le Rire de Sade (2019), mais Voilà comme j’étais, paru en 2022 aux jeunes Editions des instants, est encore plus audacieux par le parti qu’a pris Marie-Paule Farina d’écrire une autobiographie fictive entrecoupée de quelques extraits de l’œuvre de Sade. Ce qui me frappe, dans ce Marquis à qui la parole est plaisamment donnée, est son intense vitalité, avec cette passion d’écrire qui le tient malgré les longues années de prison, l’asile de Charenton, la saisie régulière de ses cahiers par la police…

D’où me vient ce flux de mots que rien ne parvient à endiguer ? Grâce ou malédiction, comment aurais-je survécu, si je n’avais eu en moi ce pouvoir d’enfanter encore et toujours les personnages chimériques peuplant à mon gré les culs de basse fosse où l’on m’a régulièrement enterré ?

Et aussi :

Plus ils brûlent, plus ils censurent, plus je crée, plus j’invente. Et c’est toujours leur portrait qu’ils brûlent ! Je n’étais pas content du premier jet des « Journées », ils m’en ont débarrassé. Ils ont brûlé les sept premiers cahiers de l’histoire d’Adèle, je l’ai refaite en 72 cahiers (…)

Et mieux encore :

(…) Jamais je ne comprendrai un écrivain assez imbécile pour affirmer qu’on reconnaît un bon poète au nombre de pages qu’il n’a pas écrites ; moi, on me reconnaîtra, si l’on me reconnaît un jour, au nombre de pages que j’aurai, envers et contre tout, réussi à écrire. L’écriture ou les travaux d’Hercule de M. de Sade !

 

Cette opiniâtreté qui fait l’écrivain, cet « envers et contre tout », cette énergie, cette bonne humeur persistante sont aussi ceux de l’autrice dès le sous-titre en forme de « nonsense » : Autobiographie posthume. L’exergue de Lewis Carroll nous le dit : comme Alice avec le roi dans De L’autre côté du miroir, Marie-Paule Farina a saisi le crayon qui dépasse l’épaule du Marquis pour écrire à sa place. Son humour, sa finesse et sa grande connaissance de Sade lui rendent possible ce que nul n’aurait osé faire.

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Les livres qui font lever les yeux

M’installer avec un nouveau livre de Jacques Lèbre pour un voyage en train de deux heures, crayon dans la main droite, carnet sous la main gauche : « 121 pages d’un livre de notes bien aéré… J’aurai fini en deux heures », jugeais-je.

« Jujèje»… (parfois des sonorités me distraient de ce que je veux dire, comme une adolescente qui pouffe à un cours). Je jugeais… j’estimais que lecture et trajet coïncideraient, sans tenir compte de deux choses :

– Que dans un voyage en train à l’étage supérieur, côté fenêtre, par matinée ensoleillée d’automne, on est amené à lever le nez.
– Que Jacques Lèbre se lit nez en bas nez en l’air “et dans tous les sens”.

« Se lit »… j’ai l’air de faire une injonction. Or justement les notes prises par Jacques Lèbre sur dix ans échappent aux injonctions, mélangeant remarques et souvenirs personnels avec des citations d’auteurs aimés.

Par exemple :

Piaillements du matin, plus concentrés, comme un tourbillon toujours à la même place – quelque chose de noué, une boule de piaillements dans la gorge de l’air.

Comment expliquer ce critère de lecture absolument infaillible que je formule ainsi : il faut que je sente quelqu’un derrière ce que je lis.

Ces deux derniers vers d’un poème de Stefan George, traduits par…

Mon train passe trop vite et trop près pour que je puisse lire le nom des gares. Petite frustration.
Le ciel est bleu presque partout. Lèbre parle des nuages qui filent vite, effilochés.

Je pense « buanderie » en me demandant où j’ai lu ce mot récemment, puis je me souviens : c’est chez Christian Bachelin.

Ces mots qui vous traversent… Mes nuages à moi par la fenêtre de ce train n’ont rien d’une buanderie. Nets, légers, angéliques… Un avion trace sa ligne, croise le reflet de la rampe lumineuse du train (pourquoi cet éclairage artificiel en plein jour ?) Les nuages avancent vite aussi, très blancs comme des mantilles, plutôt sortis d’un lavomatic que d’une buanderie.

Les faibles variations d’intensité de la lumière sur la page pendant la lecture, et comment c’est une plus grande clarté qui fait soudain lever les yeux du livre.

… « le ciel étoilé tranquille, vissé d’astres. » (Paul Valéry). C’est bien sûr quand il se fait le plus sensible (et il l’était !) que je suis le plus touché (…) Ces moments où il est finalement assez proche d’un Philippe Jaccottet.

Enfin le train passe plus lentement devant une gare et j’ai le temps de lire « Bueil ». Ce nom a quelque chose de vaporeux. Buanderie ? Par la fenêtre, des lacs avec des cygnes. Jacques Lèbre m’y accompagne :

Les cygnes, comme s’ils avaient encore agrandi le silence. Mais cela n’est pas tout à fait exact. Ce sont eux qui étaient aussi le silence. Grâce à eux, le silence se faisait soudain plus palpable, il devenait soudain visible, délimité dans un corps animal.

Parc Montsouris, cygne noir d’Australie.

Des phrases négatives m’enchantent maintenant dans mon livre, comme cette citation de Tchekhov :

Il n’y a pas besoin de sujet. La vie ne connaît pas de sujet, dans la vie tout est mélangé, le profond et l’insignifiance, le sublime et le ridicule.

Ou cette simple assertion que le poète tire de lui-même :

En matière de poésie : pas d’autorité.

Mon train arrive à Caen à la page 58. A bientôt m’a déjà donné envie de lire ou relire une dizaine d’auteurs et de recopier autant de phrases sur mon cahier de citations.

La deuxième moitié de ma lecture se passe le soir au coin du feu. Je reviens en arrière, repars en avant. Jacques Lèbre entend des oiseaux, croise sur sa route des chevreuils, des biches… parfois mon feu crépite comme des coups de fusil et je sursaute.

Et voici qu’à la page 121 une citation de Peter Handke, ou de Ludwig Hohl par Handke,  dans ce long ruban qui ondule entre les esprits, semble être là pour me tenir lieu de conclusion :

Les meilleurs livres sont ceux qui sans cesse vous font vous arrêter, lever les yeux, regarder les alentours, respirer profondément, se laisser éclairer par le soleil…

 

 

 

 

 

 

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Trois petites notes de novembre

P.S. Sur le peintre Juan Sánchez Cotán

Sánchez Cotán est, selon le catalogue de l’exposition « Les Choses » du Louvre (sous la plume de Charlotte Chastel-Rousseau), le principal initiateur du genre des bodegones, objets et scènes de cuisine, qui se développa en Espagne à partir du XVIIème siècle.

***

Bonne intelligence

Paul avait l’habitude d’être intelligent. Quand il ne comprenait pas il faisait comme s’il comprenait. Et souvent ça passait. Pierre avait la même habitude. Un jour, Paul et Pierre se sont rencontrés. Ils ne parlaient pas la même langue mais se sont comportés comme s’ils se comprenaient. Et ça a passé.

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Griffomanie

Quand ma patte était de mouette, j’avais indiqué, sur le côté droit de la page d’accueil “blog de griffomane”. C’était par timidité plus que par agressivité : comme si je n’étais même pas digne d’être une simple graphomane. Maintenant j’ai pris de l’assurance et mon blog n’est plus de griffo ni de grapho. C’est juste un lieu d’exercice.

 

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Avec un tableau de Juan Sánchez Cotán

Juan Sanchez Cotan, “Fenêtre, fruits et légumes”, vers 1602. Madrid, collection Abello.

Comment se fait-il qu’en entrant dans une salle d’exposition notre œil soit immédiatement attiré par telle chose plutôt que telle autre ? Comment se fait-il que dans une exposition du Louvre appelée « Les Choses », je me sois arrêtée sur ces citrons, ces carottes et ces choux du peintre tolédan Juan Sánchez Cotán contemporain de Cervantes (1560-1627) ?

Mon attention a peut-être été retenue par tout ce que le tableau ne contient pas et que des tableaux voisins contiennent. Ici, pas de fond de paysage, pas de Christ visitant Marthe et Marie, pas de symbole des divers sens, pas de composition décorative dans un compotier, pas de décomposition signalant une vanité. Les légumes sont suspendus par un cordon on ne sait pas à quoi. Le mot « fenêtre » figure dans le titre mais c’est tout.
Ces choses sont là, regardées avec attention, peintes avec amour. Chacune existe avec son grain et sa lumière propres. Elles sont là frontalement, comme un enfant qui vous regarde droit dans les yeux.

(Au risque de susciter un « c’est pas ça » de la part de gens avertis, j’ajouterai que cette simplicité et cette rigueur de composition me font penser à Morandi ou à Juan Gris.)

Une biographie Wikipédia m’informe que deux ans plus tard, en 1604, Sánchez Cotán, quadragénaire, prononçait ses vœux de moine et partait pour la Chartreuse de Grenade où il a fini ses jours une bonne vingtaine d’années plus tard.

 

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Lecture sur l’oreiller

C’est une joie, la nuit, de picorer sur l’oreiller quelques Notes de chevet de Sei Shônagon, dame d’honneur à la cour impériale du Japon dans les premières années du XIème siècle.

On est étonné de cette écriture au fil du pinceau, si loin de nous dans le temps, l’espace et l’univers évoqués ; parfois étrange et parfois singulièrement familière dans sa précision, sa pertinence et sa liberté.

Les notations prennent souvent l’apparence de listes qui peuvent se développer en petites scènes.

Dans la liste des Choses détestables :

Un visiteur qui parle longtemps alors qu’on est pressé. Si c’est quelqu’un de peu d’importance, on peut le congédier en lui disant : « Plus tard ! » mais si c’est un homme avec qui l’on doit se gêner, la chose est très détestable.

En frottant le bâton d’encre de Chine sur la pierre de l’écritoire, on rencontre un cheveu qui s’y est introduit. Ou encore, un petit caillou était caché dans ce bâton d’encre, et il grince : « gishi-gishi ».

Parmi les Choses contrariantes, en voici une que connaissent tous les gens qui écrivent :

On envoie soi-même un poème à quelqu’un, ou bien on répond par une poésie à celle qu’un autre vous adressa, puis, après que l’on a écrit et envoyé ces vers, on pense à corriger un ou deux mots.

En voici une autre, que connaissent tous les gens qui éteignent leur ordinateur en oubliant d’enregistrer leurs documents :

On a cousu quelque chose à la hâte, on croit avoir fini ; mais quand on tire le fil de l’aiguille, on s’aperçoit qu’on n’avait pas noué, en commençant, le bout du fil.

Et parmi les Choses gênantes :

Un homme récite ses propres poésies, que l’on ne trouve pas particulièrement belles, et rapporte les louanges que les gens en ont faites.

Cette dernière notation nous est particulièrement cuisante à  l’ère des réseaux sociaux !

Avec des illustrations de Hokusaï, relié en tissu à la japonaise, édité en 2014 par Citadelles et Mazenod dans la traduction d’André Beaujard (du moins je le suppose, car aucun nom de traducteur ne figure sur la couverture. La version Gallimard est plus maniable en lecture de chevet).

Pour une lecture plus détaillée du livre, voici un autre blog de lectrice : http://textespretextes.blogspirit.com/archive/2011/10/06/une-dame-de-la-cour.html#article-comments

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Le Bon et le Mauvais

Je relis au café un conte babylonien qui m’impressionnait beaucoup quand j’étais jeune. Les fils d’un homme riche s’appellent Bon et Mauvais. Les deux frères se haïssent et se font un procès pour l’héritage paternel. Bon, le plus jeune, perd le procès et n’hérite que d’une vache maigre. Un jour, cette vache accouche d’un enfant humain qu’elle s’apprête à piétiner cruellement. L’enfant, un garçon, miraculeusement sauvé par le Dieu Soleil, réconciliera à la fin les deux frères.

Cette légende a quelque chose de si bénéfique, de si lumineux, que j’ai éprouvé un instant de joie intense, au moment de payer mon café avec ma carte bleue, en lisant « code bon » sur la machine.

Tout le mal de l’histoire de ces jumeaux, dit le narrateur, vient de ces prénoms antithétiques de mauvais augure. Je suis bien d’accord avec lui.

Et la vache maigre, que devient-elle ? Elle disparaît magiquement de l’histoire mais je pense parfois à elle.

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L’autre muette

« A la place de qui écrit-on ? » me demandais-je l’année dernière à l’aide de Gérard Macé, en évoquant ici les muses muettes – ces mères ou grand-mères de nos vieilles photos – qui sont parfois, « avec leur façon jalouse de garder un secret », à la racine mystérieuse de l’écriture. (Voir lien en fin de billet).

Le hasard de mes relectures m’a fait tomber la semaine dernière à deux reprises sur un autre type de muette : la sœur aînée morte avant la naissance de l’auteur. C’est le cas du psychanalyste Didier Anzieu et de la romancière Annie Ernaux, tous deux ayant été ensuite des enfants uniques.

La sœur de Didier Anzieu est morte-née :

Cette sœur disparue, qui avait signé leur premier échec, est restée longtemps présente dans les pensées et les paroles de mes parents. J’étais le second, qu’il fallait d’autant plus surveiller et soigner, pour le mettre à l’abri du destin malheureux qui avait frappé l’aînée. (…) La moindre indigestion, le plus petit courant d’air me menaçaient. (…) J’avais à remplacer une morte. Or, on ne me laissait pas vivre suffisamment.

L’enfant est emmitouflé dans de multiples épaisseurs de vêtements, de soins et de soucis :

Ma vitalité se cachait au cœur d’un oignon, sous plusieurs pelures. (…) C’est à cinquante ans que j’en ai pris pleinement conscience. J’ai alors inventé la notion d’enveloppes psychiques et j’ai publié – c’était en 1974 – mon premier article sur le Moi-peau.

La sœur d’Annie Ernaux est décédée à l’âge de six ans d’une diphtérie, deux ans avant la naissance de l’autrice qui n’a appris son existence et sa mort qu’à l’âge de dix ans, en surprenant une conversation de sa mère avec une voisine. Le elle désigne dans tout le livre la mère, et le tu la soeur, comme dans une lettre écrite à la disparue (le format du livre reproduit d’ailleurs celui d’une enveloppe tamponnée) :

(…) Elle décrit les peaux dans la gorge, l’étouffement. Elle dit : « elle est morte comme une petite sainte. » (…)
elle dit de moi « elle ne sait rien, on n’a pas voulu l’attrister »
A la fin, elle dit de toi « elle était plus gentille que celle-là »
Celle-là, c’est moi.

La situation ressemble à  celle d’un conte. « L’autre fille » du titre, est-ce la morte, ou bien « celle-là », la seconde, la moins gentille ?
Ce petit livre de 78 pages est un bijou littéraire si simple et si élaboré à la fois que je vais en faire l’objet d’un prochain billet.

Les grandes sœurs mortes n’étaient pas rares avant les antibiotiques et la généralisation de la vaccination des enfants… Et voici qu’en surgit une troisième qui allonge de manière imprévue ce billet : Hélène, sœur de Nathalie Sarraute, morte de la scarlatine un an avant la naissance de « Natacha » en 1900, et trois ans avant le divorce de ses parents.

Ann Jefferson dit dans sa biographie de Sarraute publiée en 2019 : « Née après la disparition de sa sœur, elle eut toujours le sentiment que la mort rôdait autour de son enfance ». Dédoublement et déchirement marquent d’ailleurs ce livre.
Mais la chose se complique : quand le père de Nathalie Sarraute se remariera, il aura de sa seconde femme une nouvelle Hélène (en mémoire de la disparue) : la petite peste surnommée « Lili » dans Enfance. Avec sa méfiance pour les interprétations biographiques, Sarraute ne met pas du tout ce genre de détail en avant pour expliquer sa nécessité de défendre bec et ongles son territoire d’écriture singulier, mais il est probable que c’est, entre autres choses, lié à cette situation inconfortable entre deux parents, deux pays, deux Hélène.

Lien vers le billet d’octobre 2021 : https://patte-de-mouette.fr/2021/10/29/la-muette/

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Coup de gueule d’octobre

Marre, archimarre et ratamarre que des personnes travaillant dans l’écriture et l’édition mettent encore sur le tapis, en septembre 2022, la question de la féminisation du mot auteur. Je vois circuler ces derniers temps sur Facebook un article du Figaro intitulé « Ces femmes de Lettres qui refusent d’être des autrices ou des auteures ». Suivent quelques noms : Eliette Abecassis, Nathalie Heinich, Hélène Carrère-d’Encausse…

Certes, je comprends parfaitement cette célèbre phrase de Nathalie Sarraute :

Quand j’écris, je ne suis ni homme ni femme ni chien ni chat, je ne suis pas moi, je ne suis plus rien.

Mais quand une femme pose sa plume ? Quand elle redevient un être social présenté par un journaliste, un libraire, un éditeur (qui, si c’est une femme, n’aimerait peut-être pas trop qu’on ne l’appelle pas éditrice) ?

Certains arguments donnés dans cet article du Figaro me rappellent le personnage de Claude Dorsel (de son vrai prénom Claudine),  le « garçon manqué » (comme on disait au siècle dernier) dans la célèbre série Le  Club des cinq : par ses actes de bravoure, Claude méritait à la fin de chaque épisode d’être un garçon (selon le verdict transgénique de son grand cousin François). Serait-il plus dégradant d’être autrice qu’auteur, comme de s’appeler Claudine au lieu de Claude ?

Consultons maintenant le dictionnaire Reverso : Espagnol : autor/autora. Portugais : autor/autora. Italien : autor/autrice. Roumain : autor/autoare.

Le français doit-il faire exception parmi les langues romanes, quand l’Académie a enregistré la féminisation de ce nom il y a trois ans ?

Aliénor Vinçotte, qui a écrit l’article contre lequel je vitupère, invoque l’éternel argument de « la musique de la langue ». Mais en quoi diable « autrice » (mot existant depuis la nuit des temps, voir les travaux d’Aurore Evain), serait-il plus blessant pour l’oreille qu’”actrice”? Ou si l’on préfère : en quoi “auteure” contrevient-il aux règles de l’harmonie quand le français a la chance de posséder cette jolie voyelle finale que d’autres langues lui envient ?

(J’ai en passant une honte mêlée de pitié pour cette journaliste en lisant qu’elle se réclame d’Eliette Abécassis, « cette écrivain qui se déclare féministe » (je souligne). Si on considère les auteurs et les écrivains comme des êtres non genrés et le masculin comme un neutre (ce que soutenait, par exemple, en son temps, Nathalie Sarraute), “cette écrivain” est une grosse faute d’accord).

***

L’autre jour, j’ai entendu une voix féminine sur mon interphone : « Bonjour, je suis la factrice et j’ai un paquet pour vous ».

Tout simplement.

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Autres nourritures de Septembre

Comment je lis aujourd’hui

À la manière dont mangent les mouettes, je mets une coquille dans mon bec, m’envole, lâche la coquille, me pose sur elle, la décortique un peu. Si elle ne s’ouvre pas assez je recommence l’opération. Une, deux, trois fois. Si elle ne s’ouvre toujours pas j’abandonne.

J’essaie de ne pas me noyer dans ce que je lis mais de trouver le point d’ouverture qui me convient.

J’essaie ensuite de faire des rapprochements.

***

Phrase de Proust sur Nerval

Si un écrivain aux antipodes des claires et faciles aquarelles a cherché à se définir laborieusement à lui-même, à saisir, à éclairer des nuances troubles, des lois profondes, des impressions presque insaisissables de l’âme humaine, c’est Gérard de Nerval dans Sylvie.

***

Dans l’Encyclopédie de la peinture chinoise*…

… je picore ces préceptes de Lieou Taochouen, p. 16 :

Les six supériorités :

Chercher dans la rudesse le mouvement du pinceau : première supériorité.
Rechercher le talent dans l’inhabileté : deuxième supériorité.
Chercher la force dans la finesse et la délicatesse : troisième supériorité.
Chercher la raison dans le dérèglement et la singularité : quatrième supériorité.
Sans encre, chercher le ton : cinquième supériorité.
Dans une peinture plate, chercher l’espace : sixième supériorité.

Rudesse, inhabileté, force dans la finesse, raison dans le dérèglement… on est ici aussi “aux antipodes des claires et faciles aquarelles”.

*Référence de l‘Encyclopédie : voir ici billet du 18 septembre.

 

 

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Peindre les bambous

Pour Isabelle A.

Ce traité, traduit en 1917 par Raphaël Petrucci, donne les lois de la peinture chinoise de paysage. Écrit aux XVIème, XVIIème et XVIIIème siècles par quatre auteurs successifs, il recueille les instructions et les exemples de grands maîtres chinois d’autrefois sans privilégier une école ou une époque.

Ce n’est pas une vision purement décorative des formes, c’est leur structure essentielle, leur individualité, leur essence mêmes qui sont traduites dans la peinture, commente Raphaël Petrucci.

Le fascinant chapitre sur la peinture de bambous dont je vais montrer ici quelques pages a été écrit vers 1682.

Pour se rendre compte de l’importance qui s’attache à la peinture des bambous dans l’art chinois, dit Petrucci, il faut se souvenir des idées philosophiques et mystiques qui y sont attachées. Le bambou, en Chine, est le symbole de la sagesse et de la fermeté. Il évoque le sentiment de l’austérité, de la puissance grave et recueillie, d’une autorité souveraine.*

Il faut que chaque coup de pinceau possède l’esprit de cette plante à la fois souple et résistante ; qu’il traduise la façon dont les branches s’attachent à la tige coupée à intervalles déterminés par des nœuds ; celle dont les feuilles légères et pointues s’attachent à ces branches ; celle dont le bambou se penche et se redresse au vent. Il faut bien connaître aussi la forme qu’il prend en fonction des variations météorologiques : beau temps, pluie, brume, rosée, neige.

Les noms techniques énumérés sont en même temps imagés : “plume plate”, “queue d’hirondelle”, “corbeau effrayé”…

Voici, par exemple, les instructions d’un maître chinois pour peindre les feuilles :

Le coup de pinceau doit être puissant et rapide ; il faut l’appuyer fortement et le relever avec vivacité. Il doit passer en effleurant. S’il s’arrête un petit moment, alors les feuilles sont épaisses et sans tranchant.

Est évoqué un grand peintre de bambous, Wen-Hou-Tchou :

Son coup de pinceau semblait être aidé par les génies ; sa beauté semblait être formée par la nature. Il galopait à travers la méthode, il planait au-dessus de la vulgarité ; il accomplissait ce que son cœur désirait, mais il ne transgressait pas les règles.

L’entière liberté d’exécution n’exclut pas le sens des limites ; faire le bon geste, c’est vivre avec le bambou. Frappante est cette parfaite adéquation de la technique picturale au caractère de la plante et à la pensée du peintre. Je ne peux m’empêcher de me dire que si tous les poètes savaient entrer avec ce tact artistique dans ce dont ils parlent, il n’y aurait que de la très bonne poésie.

* J’avais aussi noté il y a quelques années ces propos de François Cheng dans Souffle-esprit :
Il incarne l’humilité, car le cœur de sa tige est creux ou vide. Il incarne l’esprit de jeunesse dans la mesure où il demeure vert, même en plein hiver. Il incarne enfin le dépouillement et la pureté, n’ayant pour tout ornement que ses feuilles à l’aspect simple et net.

 

 

 

 

 

 

 

 

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