On commence à écrire régulièrement, on assemble un jour quelques pages : un poème, un récit, un roman. On donne le manuscrit à lire à une personne de son entourage que l’on estime bienveillante et compétente, qui vous dit : “Il faut couper, il faut tailler, ici, ici, là.” Et on se retrouve avec une seule phrase considérée comme valide sur un texte de cinq, dix, voire deux cents pages.
Cette expérience, je l’ai bien sûr connue. Sous plusieurs formes plus ou moins cruelles, c’est le lot de beaucoup de gens qui essayent d’écrire. Voilà pourquoi je me dis aujourd’hui:
— Si on me conseille de supprimer des pages, ne pas suivre l’exemple du philosophe scythe de La Fontaine qui, voulant imiter un sage jardinier grec qu’il voit tailler ses arbres, fait dans son propre verger « un universel abattis ».
Comment ne pas couper toutes nos branches ? Comment éviter d’ôter “à nos coeurs le principal ressort” ? Trouvons d’abord un lecteur qui sait ce qu’écrire veut dire. Laissons aussi faire le temps : le superflu tombera peut-être de lui-même. Si tout ou rien ne tombe, si les mots ne prennent pas vie entre nos mains, plantons un autre arbre.
Cent fois sur le métier… Oui, mais pas n’importe comment.
Je pense aussi à une Leçon américaine d’Italo Calvino. Deux dieux opposés sont à l’oeuvre dans l’écriture, dit-il : Mercure aux pieds ailés qui est mobilité, vivacité, élan ; et Vulcain le forgeron, constructif et concentré (et sûrement musicien), qui s’occupe des minutieux assemblages.
P.S. Chers abonnés, si le début du billet ci-dessus ne correspond pas à celui que vous avez reçu en mail, c’est parce que je l’ai tronqué d’une anecdote que l’on m’a racontée l’hiver dernier, qui m’a touchée, mais qui pouvait être mal interprétée. Discernement, ou oeuvre de jardinier scythe…