Le grain de peau des couleurs

Jamais je n’avais pensé à envisager la couleur des objets comme leur peau, jusqu’à ce que Michel Pastoureau m’y invite au dernier chapitre des Couleurs de nos souvenirs : dans plusieurs familles de langues, l’étymologie du mot couleur atteste que celle-ci a été d’abord pensée et perçue, non comme une fraction de la lumière, mais comme une matière, une enveloppe qui recouvre les êtres et les choses. Le mot latin color provient de celare qui veut dire « envelopper », « dissimuler ». Le grec est encore plus net, puisque khrôma, « couleur », provient de khrôs, « la peau », et il en va de même dans les langues germaniques.

Peut-on imaginer un monde sans sa pellicule de couleur ? Quels écorchés grisâtres et douteux se cachent sous chaque voile de couleur ? Que serait une mer qui sortirait de son bleu ou une prairie qui jetterait sa peau de vert ? Il doit rester des contes à écrire sur ce sujet.

Dans un chapitre antérieur, Michel Pastoureau dit que pour les populations d’Afrique noire et d’Asie centrale, la couleur telle que nous l’entendons en Occident, avec ses tons et ses valeurs, n’a pas de réalité. Il est plus important de savoir si l’objet est sec, humide, poreux, lisse, rugueux… en somme de conjuguer l’aspect visuel de toute chose avec ses qualités matérielles, tactiles, chacune ayant sa forme et son grain propre. Beaucoup de peintres doivent savoir ça aussi.

Question : Sommes-nous, avec nos vitres de protection et nos écrans brillants à cristaux liquides, en train de perdre le sens du grain pour entrer dans un monde de reflets ?

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Le jeu de l’auteur et du titre, dit « Jeu d’Albertine »

Dans un passage connu de La Prisonnière de Proust, Albertine dit : “Mais est-ce qu’il n’a jamais assassiné quelqu’un, Dostoïevski ? Les romans que je connais de lui pourraient tous s’appeler L’Histoire d’un Crime” (Pléiade, p. 881). Crime et châtiment serait donc le titre dostoïevskien par excellence, celui qui condenserait le mieux les obsessions et préoccupations essentielles de l’auteur.

J’ai envie à mon tour d’affirmer, façon Albertine, que presque tous les romans de Zola pourraient s’intituler La Bête humaine, à commencer par Thérèse Raquin et à finir par La Débâcle en passant par Nana et La Terre. La Bête humaine est pour moi le roman emblématique de Zola, celui où ce titre acquiert sa plus grande force symbolique. Pour continuer ce jeu du titre qui convient le mieux à son auteur : La Honte me semble correspondre à la plupart des livres d’Annie Ernaux ; Le Chant du monde à beaucoup de romans du lyrique Giono (quoique j’eusse préféré pour lui Le Chant de la terre) ; et La Surprise de l’amour à une vingtaine de comédies de Marivaux (il n’a d’ailleurs pas pu s’empêcher de le donner deux fois). N’oublions pas La Promenade pour le sautillant et gambadant Robert Walser. Et n’oublions pas non plus Tropismes, premier titre de la première œuvre de Nathalie Sarraute, qui définira − sans qu’elle le sache encore clairement − tout son champ de recherche. Le Planétarium lui convient bien aussi.

Si vous souhaitez jouer avec moi au « jeu d’Albertine », vous pouvez me proposer ici des titres. Sont à éviter ceux qui englobent de manière rétrospective et réfléchie par l’auteur l’ensemble de l’œuvre, comme La Comédie humaine ou À la recherche du temps perdu. Il faut que le titre soit au contraire une synecdoque, une partie pour le tout involontaire. Y a-t-il, par exemple, un titre de Shakespeare qui s’applique à la plupart de ses pièces ? Et Molière? Et Hugo : Les Rayons et les ombres ? Et Kafka : Le Verdict ? Le Terrier ? Et les autres ?

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Traduire par nostalgie

Si on demandait à des traducteurs : ― Pourquoi traduisez-vous ? Certains répondraient : ― Par nostalgie. Moi, par exemple, je traduis pour orienter, discipliner, distraire, détourner une nostalgie, comme on détourne un cours d’eau en creusant un canal. Mais je ravive en même temps cette nostalgie en remplaçant les mots espagnols de l’enfance par d’autres mots qui ne combleront jamais l’écart, qui ne feront jamais revenir à l’identique les voix et les paysages. En traduisant, j’approche, je tâte, je reprends, j’ai sur le bout de la langue quelque chose qui jamais ne sera ça mais au mieux presque ça, le plus ça possible avec les moyens que me donne le français, et j’apprivoise comme je peux cet écart irrémédiable entre les langues. Traduire, c’est toucher une absence.

Roda de Isabena, Aragon.
Photo de Marina Sala.

La nostalgie dont je parle peut parfaitement se rapporter à quelque chose que je n’ai jamais vécu. Ni moi, ni aucun de mes ancêtres. L’effort de traduction qui s’y rapporte n’est donc pas un retour à mon origine propre, à mes racines personnelles, il n’a rien d’identitaire. Je suis, par exemple, en train d’achever, avec mon amie pyrénéenne Marina, la traduction d’un beau récit écrit en dialecte aragonais. N’ayant aucune notion de cette langue, et n’ayant, jusqu’au mois d’avril dernier, jamais mis les pieds dans cette région du Nord-Est de l’Espagne, je me suis aidée d’une traduction en castillan dans laquelle je puisais absolument tout au début, et dont j’ai osé me détacher peu à peu, à mesure que je me familiarisais avec le parler aragonais. Et en entrant dans cette langue rugueuse, j’avais l’impression de bêcher une terre rocailleuse « de to la bida » (castillan « de toda la vida »), une vieille terre mère édentée qui m’aurait portée depuis toujours, et qui me rendait plus distant mon « français-langue-maternelle » urbain et distingué.

J’ai parfois l’impression que toutes les langues sont maternelles et que tout écart entre les langues porte en lui la disparition de maman.

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Cligner de l’œil

La littérature est très différente de la vie, disais-je ici le 21 mai à propos de l’expression  “hocher la tête ». Il en va de même pour les clins d’œil : cligner de l’œil dans la vie est insignifiant, encourageant, plutôt vulgaire, au mieux complice et gentillet comme un émoticône. A l’inverse, rien de plus étrangement ambigu et inquiétant que les clins d’œil des personnages des romans russes. Je pense au joueur de La Dame de pique de Pouchkine, qui voit cligner malignement de l’œil la carte fatale qu’il vient d’abattre. Et je me réfère surtout à Porphyre Petrovitch, le juge d’instruction de Crime et Châtiment (dont je parlais ici aussi le 27 mars), lors de ses trois entrevues avec le criminel Raskolnikov. C’est un homme aux yeux bizarres dont les cils blancs bordent des « paupières toujours clignotantes », si bien que Raskolnikov hésite, lors de la première entrevue, à interpréter ses clignements de paupières comme un clin d’œil au singulier, signe de malice perspicace et moqueuse :

Raskolnikov aurait pu jurer que l’autre lui avait adressé un clin d’œil ; le diable seul aurait pu dire quelle était son arrière-pensée.
« Il sait », se dit-il instantanément.

Echange de regards entre Edward Arnold en juge d’instruction, et Peter Lore en Raskolnikov, dans Crime et Châtiment de Josef von Sternberg, 1935.

Au début de la deuxième entrevue, plus tendue, entre les deux hommes, Porphyre Petrovitch cligne encore de l’œil avec « une expression de gaieté et de ruse », avant d’éclater d’un « long rire nerveux ». C’est au cours de cette entrevue qu’il développe son image du papillon :

N’avez-vous jamais vu un papillon devant une bougie ? Eh bien, lui, il tournera sans cesse autour de moi comme cet insecte autour de la flamme ! La liberté n’aura plus de charme pour lui ; il deviendra de plus en plus inquiet ; il s’empêtrera de plus en plus, il sera gagné par une épouvante mortelle.

L’aspect papillotant de Porphyre Petrovitch se transfère curieusement sur l’homme qu’il traque, contribuant à transformer Raskolnikov en un papillon fasciné, prêt à se jeter dans la flamme. Et le juge tentateur, à la troisième entrevue, clignera encore de l’œil avant d’accuser directement Raskolnikov et de lui conseiller de se dénoncer.

Le clin d’œil de Porphyre Pétrovitch est un signal intermittent et confus pour le meurtrier, un interrupteur qui allume un projecteur en lui, un instrument de fascination qui le pousse malgré lui aux aveux, et un signe de connivence souterraine entre les deux adversaires dont l’un, avec ses cils blancs, est comme l’albinos de l’autre. Ces clins d’oeil ambivalents et inquiétants qui sont comme des clignotements du destin participent de la force fantastique des romans de Dostoïevski.

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Hocher la tête

Je suis gênée par l’expression hocher la tête. Quand quelqu’un hoche la tête dans un livre, je ne sais jamais s’il la remue de haut en bas ou de droite à gauche, en signe d’accord ou de désaccord. C’est d’autant plus embêtant que, dans mon esprit, hocher désigne un mouvement de haut en bas, comme un hochet qu’on agite, et j’ai du mal à me représenter des personnages de roman qui hochent la tête en signe de dénégation, comme dans cette phrase de Victor Hugo : Il hocha silencieusement la tête de droite à gauche, comme s’il se refusait quelque chose.

Pour une fois la langue anglaise ne vaut pas mieux, avec to nod qui a également les deux sens. En espagnol, asentir con la cabeza est clair mais lourd, et aucun verbe particulier ne transposant non plus le mouvement de négation, on s’en tire par une périphrase : Sacudir la cabeza como signo de negación. Le temps qu’on ait lu la phrase, et la tête du personnage qui « secoue la tête en signe de négation » s’est dévissée.

Si je cherche à écrire, je peux  ̶  dans une généralisation découragée  ̶  me dire une fois de plus qu’il n’est pas facile de traduire ce que je perçois en un clin d’œil par ces limaces articulées que sont les phrases écrites. Mais je me console vite en découvrant que l’expression hocher la tête permet justement de caractériser l’ambiguïté d’un comportement, comme dans cette phrase de Henri Bosco : M. Rambout hocha la tête ; mais je ne sus pas si c’était en signe d’incrédulité ou d’admiration. Mieux encore : par cette expression, on introduit subrepticement des harmoniques de doute dans ce qu’on a l’air d’affirmer. Une phrase de Maupassant trouvée dans le dictionnaire dit, par exemple : Les deux ruraux hochaient la tête en signe de refus, et j’ai l’impression confuse que ce refus recouvre un assentiment naissant, un “p’têt ben qu’oui, p’têt ben qu’non” roublard et pas très catholique. Et en effet, Google m’apprend que la phrase suivante du texte est : Mais quand ils apprirent qu’ils auraient cent francs par mois, ils se considérèrent, se consultant de l’œil, très ébranlés. Dans ce “ils”, je reconnais un couple de paysans normands qui, quelques phrases plus loin, accepte de vendre son enfant à la riche Madame d’Hubières dans le conte Aux champs.

(L’expression en un clin d’œil, que j’ai employée il y a quelques lignes, me fait penser qu’il n’est pas pareil non plus de faire des clins d’œil dans la vie et dans les romans. Mais je réserve ceci à un autre billet pour ne pas trop allonger celui-ci.)

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Sur Le sable de la terre d’Ismaël Savadogo

Ismaël Savadogo est un poète ivoirien de 35 ans, qui a collaboré aux revues littéraires L’Intranquille et Traversées, à l’anthologie 120 nuances d’Afrique établie par Bruno Doucey, Nimrod et Christian Poslaniec aux éditions Bruno Doucey en février 2017, et dont le premier recueil, Le Sable de la terre (39 p., 10€), était paru en novembre 2015 aux éditions du Lavoir Saint-Martin. Ismaël Savadogo vient de passer près de deux mois en résidence d’artiste à Paris dans le cadre du Printemps des poètes 2017.

J’ai présenté ce recueil la semaine dernière dans la revue en ligne La Cause littéraire :

     http://www.lacauselitteraire.fr/le-sable-de-la-terre-ismael-savadogo

Mais en relisant Le Sable de la terre aujourd’hui, j’ai envie de revenir un instant sur une quête poétique qui ne cesse pas de m’intriguer :

IX
(…) J’écris seulement des phrases
sorties d’une nuit noire et difficile ;

et je vois, une fois le jour venu,
tout ce que l’ombre retient.

Cette poésie issue de la nuit se projette vers un avenir et y cherche la lumière, dans une attente hypothétique et interrogative marquée par des futurs qui sont presque des conditionnels : “ce sera demain peut-être”, ou : “un jour peut-être”… Je crois qu’il ne s’agit pas d’espoir, mais plutôt d’une forme particulière d’espérance chrétienne : vertu d’espérance qui ne protège pas, ne donne aucune certitude de salut, mais guide cette quête obscure, place parfois des fleurs dans le désert de sable, et permet de poursuivre résolument la marche pour “agripper le ciel”.

XVIII

Allons vers chaque fois.

Fuyons
Vers toujours.

Avec un peu d’effort
revenons gravir le mont
après avoir creusé partout

pour chercher maintenant
à agripper le ciel.

Pour voir et entendre Ismaël Savadogo dans le cadre du Printemps des poètes : “la poésie est devenue… ma vie” sur youtube :
https://www.youtube.com/watch?v=Xo7ZQvQicDY

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Animal polyglotte

Au lycée français de Madrid, nous parlions une langue hybride où beaucoup de phrases n’étaient dites entièrement ni en français ni en espagnol. Avec mon amie Concha je m’amusais à outrer et à compliquer la chose en ajoutant l’anglais, ce qui pouvait donner : “J’ai tantísima cosa à te raconter que no sé how to begin ». Nous ajoutions à cela certaines déformations de mots à l’intérieur d’une même langue : le mot espagnol exacto, par exemple, était dit tantôt avec une prononciation pédante en outrant les k : ekessaketo ; tantôt au contraire en mangeant le k pour imiter un parler populaire : essato. Il y avait dans ces jeux la joie de malaxer en la déformant la pâte de la langue, liée au plaisir de parodier diverses catégories sociales, et à celui d’exercer agilement et à notre fantaisie le passage d’une langue à l’autre, d’un accent à un autre, comme on saute de part et d’autre d’un ruisselet.

Aujourd’hui j’aime encore mélanger, traduire et comparer les mots des langues. C’est pourquoi la phrase de Descartes qui sert d’exergue au livre La Nostalgie de Barbara Cassin m’a tout de suite réjouie, comme si ce livre était d’emblée fait pour moi :

Me tenant comme je fais, un pied en un pays, et l’autre en un autre, je trouve ma condition très heureuse, en ce qu’elle est libre.                 Lettre à Christine de Suède, juillet 1648.

Et quand j’ai vu que Barbara Cassin associait une certaine nostalgie constructive à la différence des langues, j’ai été comblée :

Non seulement on peut inventer autrement dans une autre langue, mais on invente dans l’entre-deux-langues. Cela s’appelle traduire. L’homme n’est pas un animal doué de logos, c’est un animal polyglotte.                                                   La Nostalgie, (éd. Autrement, 2013)

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La nostalgie et le kitsch

Dans son livre La Nostalgie, Barbara Cassin rappelle que quand Ulysse est chez la nymphe Calypso, il refuse l’immortalité qu’elle lui propose, préférant rentrer chez lui, « quitte à y trouver le temps qui passe, la mort et, pire, la vieillesse, plutôt que l’immortalité. Tel est le poids du désir de retour. » Ulysse choisit Pénélope, et avec elle sa finitude.

Le kitsch, tel que défini par Kundera dans L’Insoutenable légèreté de l’être, me semble être à l’opposé de cette nostalgie d’Ulysse :

Le kitsch, par essence, est la négation absolue de la merde, au sens littéral comme au sens figuré : le kitsch exclut de son champ de vision tout ce que l’essence humaine a d’essentiellement inacceptable.

Ceci me renvoie à une expérience personnelle : il m’a été donné récemment de revoir une certaine Agathe, amie de jeunesse dont j’admirais beaucoup la beauté. Ces retrouvailles sont toujours redoutables quand on prend de l’âge, et j’avais de mon côté soigné mon maquillage et ma coiffure. Mais l’Agathe que j’ai vue arriver m’a remplie d’effroi : c’était la réplique exacte, rigoureusement exacte de la jeune femme que j’avais perdue de vue trente ans plus tôt : les mêmes cheveux blonds lâchés dans le dos, la même fraîcheur de teint, la même voix musicale, le tout paradoxalement méconnaissable car nimbé d’une auréole de temps figé. Cela m’a fait penser à Odette ou à Madame de Forcheville dans la dernière partie du Temps retrouvé de Proust, vieilles-jeunes femmes qui semblent les petites sœurs de leurs filles, figures d’un temps non retrouvé mais nié, aussi immortelles que des « roses stérilisées ».

En un mot, Agathe, comme Odette et Madame de Forcheville, était devenue une néo-Agathe, une Agathe kitsch, le contraire de la Pénélope désirée par Ulysse dans l’Odyssée.

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Tertulia

Il y a des mots dont les sons mêmes sont porteurs pour moi de nostalgie heureuse. C’est le cas de l’intraduisible espagnol tertulia, réunion entre amis informelle et régulière autour d’un thème philosophique ou artistique donné.

Dans le Madrid morne et franquiste de mon adolescence, les syllabes guillerettes de tertulia me semblaient fourmiller d’esprit et de gaieté. Tous les débats interdits se déroulaient dans les tertulias, et je savais vaguement que le célèbre café Gijón, juste derrière le lycée français, était un de ces rares espaces de parole. L’écrivaine Josefina Aldecoa (1926-2011) en témoigne :

Je me souviens des douces tertulias du café Gijón. Nous y allions l’après-midi et vous saviez toujours que vous y rencontreriez quelqu’un. C’était sans nul doute un refuge dans une époque si aride et si grise.

Certains professeurs et certains élèves dégourdis du lycée se rendaient au Gijón après les cours, mais moi je rentrais faire mes devoirs, me contentant de respirer en imagination, sans rien oser désirer, ces quelques bouffées de liberté madrilène.

Ce n’est qu’il y a deux ans que je suis allée pour la première fois de ma vie au café Gijón. En mangeant ma crème renversée j’ai posé une ou deux questions au serveur sur le passé du lieu, et à ma grande surprise il s’est lancé avec passion dans un long récit sur les personnalités qui s’étaient attablées ici depuis 1888 : Ruben Darío, Lorca, Dali, Buñuel, Mata-Hari… Il a enchaîné sur les tertulias qui se tenaient plus ou moins discrètement dans la crypte du restaurant, et dont il avait eu le « privilège », disait-il, d’être témoin.

Dîner de la “tertulia de los poetas” le 24 avril 1980. De gauche à droite : José Garcia Nieto, Francisco Garcia Pavon et Gerardo Diego, derrière lequel se tient José Barcena.

J’étais tombée sur José Bárcena, le serveur écrivain qui tient depuis 1974 son journal sur tous les événements qui se déroulent au Gijón. Il est d’ailleurs l’auteur de la partie historique du site web du café www.cafegijon.com

Je l’ai écouté, cuillère en l’air. Soudain m’apparaissait ce que je n’avais eu ni l’âge ni l’idée de savoir, et qui à présent m’ouvrait les portes d’une Espagne devinée mais ignorée. Ce n’était pas du temps retrouvé, puisque rien n’avait été à proprement parler perdu, mais du temps réveillé et révélé. Quand je suis sortie dans l’avenue de Recoletos, les bancs de granit, les pavés gris, la grande poste de la place Cibeles, tout ce qui dans l’enfance me paraissait terne et lourd est devenu saillant, scintillant, aussi accueillant que le mot tertulia.

Si, de passage à Madrid, vous voulez prendre une crème renversée (“tocino de cielo”) au café Gijón et entendre les histoires de José Bárcena, voici à peu près à quoi il ressemble aujourd’hui.

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La nostalgie du cosmonaute

Il paraît qu’il existe une nostalgie particulière du cosmonaute, détresse de celui qui, en chemin vers la lune, ne voit plus la Terre. Une des grandes joies du cosmonaute est de regarder à travers le hublot la planète bleue.

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