Sincérité de Gide

Il y a des choses un peu difficiles à définir en littérature, comme la sincérité (qui ne se laisse pas confondre avec le ton ni avec la justesse). J’ai noté ces dernières années plusieurs phrases du Journal de Gide, parce qu’il s’y pose régulièrement cette question de la sincérité que certains jugeront démodée mais qui, dans son cas, présente l’intérêt de s’appliquer à un moi particulièrement mobile.

Selon ses propres dires, Gide est en effet double, multiple, protéiforme, parfois aux antipodes de lui-même :

Quel que soit le livre que j’écris, je ne m’y donne jamais tout entier, et le sujet qui me réclame le plus instamment, sitôt après, se développe cependant à l’autre extrémité de moi-même.

Il peut en somme écrire L’Immoraliste et La Porte étroite avec une égale sincérité, et puis se dire :

La chose la plus difficile quand on a commencé d’écrire, c’est d’être sincère. Il faudra remuer cette idée et définir ce qu’est la sincérité artistique. Je trouve ceci, provisoirement: que jamais le mot ne précède l’idée. Ou bien : que le mot soit toujours nécessité par elle. Il faut qu’il soit irrésistible, insupprimable, et de même pour la phrase, pour l’œuvre tout entière.

Il me semble que la sincérité de Gide est liée à de l’irrésistible reconnu comme tel.

Je trouve encore ceci, tiré de Si le grain ne meurt (Pléiade, p. 358):

Souvent je me suis persuadé que j’avais été contraint à l’œuvre d’art parce que je ne pouvais réaliser que par elle l’accord de ces éléments trop divers, qui sinon fussent restés à se combattre, ou tout au moins à dialoguer en moi.

En feuilletant à nouveau le Journal, on pourrait ajouter à cet  “irrésistible” et à cette « contrainte » qui se rapportent à la fois à la psychologie de Gide et à la relation du mot à l’idée, son souci de ne pas simplifier le propos mais d’en faire résonner, autour de la note fondamentale, les petites notes secondaires :

Un corps ne peut émettre un son que s’il pressent autour de lui une possibilité d’harmoniques.

(A suivre)

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3 réponses à Sincérité de Gide

  1. marie-paule Farina dit :

    Sancho Pança ne peut rien garder sur la langue et Gide rien garder sous la plume, j’ai compris cet “irrésistible” dont tu parles?

    • Je n’arrive pas présentement à comparer Gide et Sancho ! Je voyais dans la “sincérité” de Gide, non le fait qu’il ne saurait pas garder sa langue, mais un souci de tricher le moins possible pour rendre compte de sa complexité dans une langue qui lui donne forme.

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