Sur la lisière du sommeil

Depuis des années je suis fascinée par ces extraits des Marginalia d’Edgar Poe :

Je ne crois pas qu’aucune pensée – ce qu’on peut appeler véritablement une pensée – soit au-delà des frontières du langage. Pour ma part, je n’ai jamais eu une pensée que je n’aie pu l’exprimer en mots […] Il y a cependant une classe d’imaginations (fancies) d’une exquise délicatesse qui ne sont point des pensées et auxquelles jusqu’à présent j’ai trouvé absolument impossible d’adapter un langage. […] Je ne suis visité de ces images que lorsque je suis sur la lisière même du sommeil et avec la conscience de m’y trouver. […] Ces fancies apportent avec elles une extase délicieuse.

Bien qu’Edgar Poe se sente incapable de transcrire ces « fancies », l’atmosphère de ses contes et poèmes en semble parfois imprégnée (comme Le Palais hanté, poème somptueusement traduit par Mallarmé).

Je vois bien ce dont il parle : ces images se font et défont quand on est au bord du sommeil aussi rapidement que des cristaux de kaléidoscope, et bien qu’un reste de conscience nous habite, elles sont en effet plus insaisissables que des rêves nocturnes dont le souvenir peut revenir nous habiter au réveil. La nuit dernière, j’ai par hasard capté une de ces visions fugitives : une araignée géante couleur sable devant mes bambous. Mais avant qu’elle ne se métamorphose en une autre image colorée, j’ai eu le temps de me dire : « une famille » et c’est ce titre, sortant la vision de son évanescence pour la figer en une sorte d’allégorie, qui a dû me réveiller.

P.S. 1. Comme tout aujourd’hui a un nom, ces « fancies » ont été nommées « visions hypnagogiques » et plusieurs artistes, dont Salvador Dali, disent y puiser leur inspiration. 2. Les Marginalia de Poe, notes écrites dans les marges des livres, sont passionnantes par l’acuité de la vision et la variété des sujets et des tons. 3. Marie-Paule Farina me fait à l’instant découvrir sur sa page Facebook cette superbe mélodie de Lully “O tranquille sommeil” https://www.youtube.com/watch?v=JVJJW9oAviE&fbclid=IwAR2VwSWRue-TO67i7u5fQotRM8WkU0_fo01K08SKf_22b_tuniJedV9huiU

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2 réponses à Sur la lisière du sommeil

  1. marie-paule Farina dit :

    je ne fais plus depuis bien longtemps de grasses matinées le dimanche pour rattraper le manque de sommeil de toute la semaine mais ce qui faisait le plus grand plaisir de ces matinées passées au lit c’était ces sortes de rêveries qui contrairement aux rêves nocturnes n’étaient pas totalement subies et racontaient des histoires qu’il m’arrivait parfois de prolonger, de reprendre et d’orienter vers une happy end à ma convenance du moment 🙂

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