J’aime la littérature qui ne développe pas forcément un grand sujet, mais qui fourmille de petits sujets, rattachés souvent à une seule « idée fixe », dirait Nathalie Sarraute, ou à une « pelsonnalité », dirait Gombrowicz (qui ne sait pas grasseyer).
Les petits sujets qui fourmillent dans les livres peuvent s’assembler ou se combiner par éclosion, glissement, déviation, ramification, sédimentation, sautillement, abruption…
Ce mot « abruption » vient bloquer mon énumération car je l’ai en tête depuis quelques mois sans savoir très bien ce qu’il veut dire et sans que je songe à le chercher, parce que j’ai la secrète envie qu’il signifie « coq-à-l’âne escarpé ».
Mais je consulte le dictionnaire : l’abruption est à l’origine une faille, un gouffre terrestre. (Ceci ne me déçoit pas). En médecine, il désigne une fracture transversale de l’os avec déplacement des fragments. (Cette fente et ces éclats d’os me vont aussi). Pierre Fontanier donne au mot une acception rhétorique ennuyeuse qui m’incite à dévier vers les entretiens de Michel Chaillou avec Jean Védrines :
Pour moi maintenant, la littérature, la vraie, c’est le hors-sujet. Le sujet apparent, si on en a besoin, on s’en sert. Mais ce n’est pas le vrai sujet. Le vrai sujet, c’est l’énigme du monde.
Et si pour moi le vrai sujet, c’était l’abruption du monde ? Ou bien le fourmillement du monde ? Une abruption fourmillante, sautillante et souriante, un coq-à-l’âne escarpé ?
Auto-commentaire : “En résumé il n’y a pas de sujet ; il n’y a que ce qu’on éprouve”, dit Emmanuel Bove.
Google Traduction propose “cock-to-the steep dick” pour “coq-à-l’âne escarpé”… çà me laisse songeur.
Excellent !
C’est vrai , il n’y a que ce qu’on éprouve pour quelqu’un, quelque chose, une époque, une histoire, un souvenir rêvé, ce qui nous met à l’épreuve aussi. Il y a au départ une faille, una grieta, dans laquelle se glisse l’écriture et dans le meilleur des cas, la littérature.
J’aime bien ce mot “grieta” qui sonne comme une biscotte qu’on croque, ou des pipas qu’on fend avec les dents !