Aujourd’hui je ne trouve pas dans ma bibliothèque préférée ma place préférée devant la fenêtre du jardin. Je m’assieds et dépose ma pile de livres sur une table basse en lattes vertes assez avenante. Moins de trois minutes plus tard s’installe presque contre moi une jeune fille farineuse à chaussures pailletées qui pose un gobelet plein de café à deux centimètres de mes livres. Je souffre toujours quand des aliments voisinent avec les livres, on dirait que certaines natures mortes ont été peintes par des personnes qui n’aiment pas les livres.
Pendant que le café tiédit dans le gobelet bordé d’un rouge à lèvres écarlate qui me semble baver vers mes livres, un cliquetis d’ongles nacrés bleu-pâle déferle sur mes oreilles. Je n’aime pas beaucoup entendre les ongles longs cliqueter sur les claviers.
J’ouvre mon premier livre : Armand Dupuy, Mieux taire, un poète énigmatique et direct. Je copie sur mon cahier :
« Un seul arbre obsède et bouche la vue qui me
rappelle habite ce qui t’empêche. »
Je tourne des pages : “Tout me laisse plus seul ici”… “Les images s’apaisent dans le blanc des murs”…
Apaisée moi aussi par la profonde patience qui émane de ces paroles je relève la tête : La jeune fille a disparu. J’irai vider le gobelet dans les toilettes.