Il y a des métiers où il faut attendre : gardien, policier, soldat, commerçant… Il est dur pour un gardien (ou un soldat) qui attend longtemps d’être au vif de lui-même au moment où surgit l’événement qui justifie son attente (cela a été abondamment traité en littérature), et il est dur quand on est commerçant de ne pas montrer qu’on attend (cela est moins souvent traité). Seul un mendiant se doit de montrer qu’il attend, c’est pourquoi il est si dur d’être mendiant.
Il y a des métiers où on fait attendre : caissier, restaurateur, employé de Pôle emploi, de la Poste, des Impôts, de toutes les Administrations, de tous les Hôpitaux, de toutes les Gares, de tous les Aéroports… Il est presque aussi dur, du moins au début et si on a un tempérament nerveux, de faire face à l’impatience de ceux qu’on fait attendre que d’être celui qui attend.
Combien de choses peut-on attendre à la fois, pour les espérer ou pour les redouter ? J’ai souvent l’impression de vivre d’attentes superposées sans jamais occuper le présent. Et c’est Pascal qui me vient à l’esprit (fragment 43) :
Nous ne nous tenons jamais au temps présent. Nous anticipons l’avenir comme trop lent à venir, comme pour hâter son cours, ou nous rappelons le passé pour l’arrêter comme trop prompt, si imprudents que nous errons dans les temps qui ne sont pas les nôtres, et ne pensons point au seul qui nous appartient. (…) C’est que le présent d’ordinaire nous blesse. Nous le cachons à notre vue parce qu’il nous afflige, et s’il nous est agréable nous regrettons de le voir échapper. Nous tâchons de le soutenir par l’avenir, et pensons à disposer les choses qui ne sont pas en notre puissance pour un temps où nous n’avons aucune assurance d’arriver. (…) Ainsi nous ne vivons jamais, mais nous espérons de vivre, et nous disposant toujours à être heureux il est inévitable que nous ne le soyons jamais.
J’ai participé il y a quelques années à un atelier de théâtre où le professeur nous demanda de représenter quelqu’un en train d’attendre, un bus ou un métro par exemple. La plupart des participants faisaient des mimiques, bougeaient, etc. En fait pour bien jouer l’attente, il fallait ne rien faire, tout simplement. En regardant ensuite
les gens sur un quai, j’ai compris qu’il avait raison. Attendre c’est ne rien faire, être dans la non activité, ce qui est hautement difficile de nos jours.
Magnifique texte de Pascal. Mon fils Manuel qui est professeur de philo l’étudie toujours avec ses élèves de Terminale. Merci Nathalie de le citer…
« Nous ne nous tenons jamais au temps présent. Nous anticipons l’avenir comme trop lent à venir, comme pour hâter son cours ; ou nous rappelons le passé, pour l’arrêter comme trop prompt: si imprudents, que nous errons dans les temps qui ne sont pas nôtres, et ne pensons point au seul qui nous appartient ; et si vains, que nous songeons à ceux qui ne sont plus rien, et échappons sans réflexion le seul qui subsiste. C’est que le présent, d’ordinaire, nous blesse. Nous le cachons à notre vue, parce qu’il nous afflige ; et s’il nous est agréable, nous regrettons de le voir échapper. Nous tâchons de le soutenir par l’avenir, et pensons à disposer les choses qui ne sont pas en notre puissance, pour un temps où nous n’avons aucune assurance d’arriver.
Que chacun examine ses pensées, il les trouvera toutes occupées au passé et à l’avenir. Nous ne pensons presque point au présent; et, si nous y pensons, ce n’est que pour en prendre la lumière pour disposer de l’avenir. Le présent n’est jamais notre fin : le passé et le présent sont nos moyens; le seul avenir est notre fin. Ainsi nous ne vivons jamais, mais nous espérons de vivre ; et, nous disposant toujours à être heureux, il est inévitable que nous ne le soyons jamais.»
Oui, c’est un texte frappant que j’ai aussi étudié. J’en ai enlevé des morceaux par crainte de lasser, mais merci de tout restituer en commentaire !