J’ai lu récemment dans En Marge des jours de J.-B Pontalis :
Irritants ces gens qui, vous croisant dans la rue, vous disent : « Tu as l’air fatigué, ou soucieux, ou en pleine forme et qui se trompent le plus souvent. (…)
« Elle avait l’air », « vous avez l’air ». Dévisager ne permet d’accéder ni au corps ni à l’âme. Les regards les plus indiscrets ne peuvent rien saisir de ce qui se passe à l’intérieur (p. 51).
Propos de psychanalyste qui préfère n’être attentif qu’aux paroles. Il n’empêche que je me suis sentie concernée, et même un peu critiquée.
Car j’adore dévisager les gens ‒ surtout les inconnus, ce qui me met, j’espère, en dehors des personnes qui agacent Pontalis. Je trouve à chaque inconnu que je croise non pas l’air, mais un air, ou une espèce d’air (voir lien en fin de billet). Ce qui me fascine dans la rue ou dans le métro, c’est tous ces airs qui circulent et se côtoient. J’envie ma nièce Leito qui sait dessiner ça.
J’imagine toujours qu’un regard sur la personne que je croise va m’ouvrir le livre qui doit tout m’apporter, mais la lecture en est si brève que je reporte aussitôt mon désir sur la personne suivante. Pour voir sans être vue, je peux poursuivre mes observations derrière la vitre d’un café mais le contact n’est pas le même, il y manque une qualité d’air remué.
Alors je me réfugie dans les vrais livres.
Je relis « Les Petites Vieilles » :
Honteuses d’exister, ombres ratatinées,
Peureuses, le dos bas, vous côtoyez les murs.
Et surtout « Une Passante », dont je peux indéfiniment dévisager la première strophe :
La rue assourdissante autour de moi hurlait.
Longue, mince, en grand deuil, douleur majestueuse,
Une femme passa, d’une main fastueuse
Soulevant, balançant le feston et l’ourlet.
(J’ai sur mon bureau Aperçues de Georges Didi-Huberman qu’on vient de me prêter. Je décide d’en picorer des phrases ici et là comme on croise quelqu’un dans la rue et de lire “l’image qui passe, minuscule et mouvante, toute proche de nous dans la nuit”, p. 12).
“qualité d’air remué” par la mouette au regard perçant qui plonge sur sur sa proie!
Mais non, il ne s’agit pas ici de l’oiseau prédateur, mais de la quête toujours relancée d’un vrai partage.
Merci pour ce beau texte
Avec amitié
Jacques
Ton commentaire me fait grand plaisir, Jacques, d’autant plus que la mouette retourne en ce moment sur les Frontières de sable… (A suivre).