♦ Près de Louviers s’étend la forêt de Bord. Ce nom me rassure toujours enfantinement quand je passe à proximité ; je m’imagine que le Petit Poucet et ses frères n’auraient pas pu s’y perdre.
♦ « Toucher, c’est toucher un bord », dit Derrida (Le toucher, Jean-Luc Nancy).
♦ Guillevic le touchant aime les bords, jonctions, orées, lisières, talus, charnières : “À la charnière, quelle charnière ? / À la jonction, / Pour y creuser.” (Avec).
♦ Lorsque je roulais par temps de neige sur des routes départementales de la Somme et de l’Oise, il arrivait que la chaussée ne se distingue pas des champs. Plus de talus, plus de bas-côté, plus de bord. Si le brouillard s’y ajoutait le monde devenait intenable. Un jour j’ai laissé ma voiture à une gare de campagne pour prendre le train. N’a-t-on pas quelquefois besoin, aussi, de rails ?
Brouillard. Tâtonnement de l’aveugle, toucher angoissant pour le voyant. Se rassurer
avec les rails. Mais tant de rails nous mènent où nous ne voulons pas aller! Mieux vaut se perdre en laissant derrière soi quelques cailloux pour marquer notre passage. C’est peut-être le jeu de l’écriture : marquer l’indécis de nos vies pour lui donner consistance. Belle illusion contre la peur, quand la vue se brouille.
Un abrazo
Jacques
Merci pour ce commentaire beau et méditatif !
« À la charnière, quelle charnière ? / À la jonction, / Pour y creuser. »
Oui, creuser. Oui, toucher.
Il y a quelques années, j’écrivais : “La pensée n’est que longues digressions avec ses frontières, bords, bordures, bornes, bouts, confins, délimitations, démarcations, extrémités, fins, lignes, limites, lisières, marches, murs, séparations et termes des élucidations. La pensée pense les seuils et les séparations. C’est la limite en-soi de la pensée.”
Où écriviez-vous ça ? Vous faites aussi de beaux dessins.