Pour Francis
En 2010, Jessica la jeune manucure me raconte en me faisant la beauté des mains :
« Je veux être gendarme depuis un jour, dans le RER. J’étais avec ma mère, et monte un couple de toxicos. La fille met ses pieds sur la banquette, presque sur ma mère. Ma mère dit : “Vous voudriez bien pousser vos pieds ?” Le toxico a hurlé sur ma mère : “Sale négresse, tu devrais même pas exister, t’existes pas, t’es qu’une négresse”. Moi j’avais 8 ans et j’étais terrifiée, cachée derrière mon livre. Et ma mère qui supportait tout ça. A la fin elle s’est levée : “Oui, je suis une négresse, j’existe pas, je suis rien”. Les toxicos se sont tus. Depuis je veux être gendarme. C’est ma mère qui veut pas. »
Je ne sais pas si cette mère s’est levée dans la réalité ou dans le désir de sa fille. Je ne sais pas non plus si Jessica a par la suite écouté sa vocation. Je pense maintenant à Clarissa Jean-Philippe, tuée en janvier 2015, à laquelle Guy Konopnicki a rendu récemment sur radio J un très émouvant hommage.
En voici le début :
Je veux vous parler d’une jeune femme noire.
D’aucuns diraient « racisée », mais je n’aime pas ce terme.
Elle était assurément descendante d’esclaves amenés à fond de cale à La Martinique.
Elle était féministe, révoltée contre les violences subies par les femmes, à commencer par sa mère.
Elle disait à son père : « Un jour je serai policière et c’est moi qui viendrai t’arrêter, pour que tu cesses de frapper ta femme. »
Elle a tenu parole, elle est devenue policière, pour protéger, en priorité, les femmes et les enfants.
Curieusement, on ne brandit pas son portrait dans les manifestations féministes, et son nom ne figure pas parmi ceux que l’on placarde dans les rues. On ne la compte pas parmi les femmes victimes de violences.
Et cette descendante d’esclave, cette femme noire, n’est pas considérée comme une héroïne par les « indigénistes », par ceux qui prétendent représenter les gens de couleur.
Elle a pourtant été abattue, lâchement, d’une rafale de kalachnikov tirée dans le dos. Abattue par un homme.
Elle avait 26 ans. Elle est tombée à Montrouge, le 8 janvier 2015.
Elle s’appelait Clarissa Jean-Philippe.
Une certaine forme de procès médiatique fait à la police tend à “mettre tout le monde dans le même sac”. Globalisation que n’acceptent pas pour eux-mêmes : les enseignants, les politiques, les fonctionnaires, les journalistes…
Merci, Francis, de m’avoir fait découvrir le nouveau Konop !
merci Nathalie. Je suis moi aussi peinée et profondément révoltée par ce tri qui reproduit à l’identique celui des racistes blancs qui distinguaient entre “les bons noirs” et les autres.
J’allais, Marie-Paule, faire un commentaire du même type, en plus confus. Oui, cette reproduction à l’identique est insupportable.
Superbe, ton hommage, mais tellement triste.
Christelle
Merci ! J’aime surtout l’hommage de Guy Konopnicki, très émouvant et juste.
J’ai hésité à écrire, comme on hésite à parler devant la douleur; comme on se découvre
muet, honteux, impuissant devant le crime.
C’est un si terrible témoignage de ce qui ne guérit pas dans ce monde : cette descendante d’esclave, qui voulait s’insurger contre la violence et que la violence a rattrapée.
Je ne veux pourtant pas croire à une fatalité sans issue. Je ne veux pas croire à l’absurdité révoltante de ce destin. Elle n’est surement pas morte en vain. Il faut le croire pour ne pas désespérer de cette humanité.
Je pense au voile de Véronique sur le visage d’un Juif outragé…
Je pense à tous ceux, si peu visibles, qui luttent et ne se résignent pas.
Je pense à cet amour que cette femme assassinée voulait donner.
Elle savait le prix à payer pour changer le monde. Donner sa vie, ce n’est pas rien.
Un abrazo
Puisses-tu dire vrai. Pour le moment, j’avoue que je pense surtout à sa mère…