Raymond Farina me permet de recopier sur ce blog une terrible fable extraite de son recueil Notes pour un fantôme :
LA MÈRE DÉVOREUSE
Qui aurait pu imaginer
que, sous la douce toison blanche
de cette lapine aux yeux rouges
que l’enfant souvent caressait,
se cachait un fauve vorace ?
–
Chaque fois qu’elle mettait bas,
elle dévorait ses petits.
Et l’enfant tissait en silence,
pour apprivoiser ce mystère,
mille rêves et mille hypothèses.
–
Impossible de concevoir
que son ventre fût une tombe.
Elle devait sans doute,
après les avoir enfantés,
discrètement rendre le calme,
la douceur du cocon fœtal
à ses petits précipités
dans la fureur, les hurlements
d’espèces qu’affolait le monde.
C’est du moins ce que lui croyait.
–
C’est ainsi qu’il a pu comprendre
que les vivants sont omnivores,
oui, vraiment, tous, sans exception.
L’humain qui dévore des livres,
des asperges et des framboises,
peut un jour manger son voisin.
Un trop d’affection ou la faim
-ou une psychose animale-
peut faire qu’un lapin
mange un autre lapin,
même s’il est de sa famille.
–
(Extrait de Notes pour un fantôme suivi de Hétéroclites, N & B éditions, 2020)
Raymond Farina ajoute dans le courrier qu’il m’a gentiment adressé : « « Que puis-je vous dire de plus, à propos des bêtes et des mères, que ce que dit ce poème d’une lapine dévoreuse qui fut pour ma vieille nourrice, lorsque j’avais six ans, l’incarnation de l’anti-nature ou peut-être du Diable ? » Puis : « Je laisse à la mésange du poème qui suit le soin de contredire cette méchante image ».
BESTIAIRE D’ENFANCE
Que reste-t-il
du bestiaire d’enfance ?
La libellule bleue
Narcisse de l’étang
fantaisie entomologique
de l’ordre inconnu
des hélicoptères
cette mésange
simulant une aile cassée
pour m’entraîner
loin de son nid
la kyrielle de chiens bâtards
à qui nous fîmes
des funérailles princières
–
(Anachronique, Rougerie, 1991)
Ces deux poèmes me font penser, par association d’idées, à un chef d’œuvre de cinq pages de Tchekhov intitulé Un Événement (Récits de 1886, p. 1399).
L’histoire des chatons nés chez Vania six ans et Nina quatre ans, illustrerait avec une magistrale cruauté l’expression française « Les chats ne font pas les chiens ».
Je suis très fier Nathalie d’être accueilli dans votre blog avec quelques animaux de mon bestiaire d’enfance mais qu’ils y figurent en compagnie des chatons des Vania et Nina tchekhoviennes, quelle joie! 🙂
Cette histoire de Tchekhov ressemble surtout à celle d’un hérisson blessé enfermé par un enfant dans la même boîte-hôpital qu’un oisillon tombé du nid…
Si douces les mères dévoreuses et si violent le désir d’être dévoré! Bravo pour ces beaux poèmes à la fois féroces et légers. Ainsi avance en boitant notre humanité tortueuse!
Un abrazo
C’est toujours une joie pour moi de découvrir tes commentaires, Jacques. Tu dis ici en peu de mots beaucoup de choses importantes. Un abrazo