Finir un livre

Je ne parle pas ici du livre qu’on lit mais de celui qu’on écrit.
Car toute personne qui prétend écrire des livres se demande, me semble-t-il, à quel moment son livre est vraiment fini. Et bien sûr ceci n’a pas de rapport, si c’est un récit, avec le dénouement qu’elle peut connaître dès le départ.

Comment peut-on être sûr que c’est fini ?

La réponse que j’ai trouvée dans Légendes à l’écart, le livre d’entretiens de Michel Butor avec Kristell Loquet, me semble la plus simple et la plus vraie :

J’avais le sentiment qu’un livre n’était jamais fini. Il y avait des fautes à enlever, on n’en finit pas. Mais il y a un moment où on en a « ras-le-bol ». Alors c’est à ce moment que le livre m’abandonne. Je n’y arrive plus. Donc j’ai besoin de passer la main à quelqu’un d’autre : au lecteur (p. 77).

Je remarque d’abord qu’avoir fini d’écrire un livre n’est pas tout à fait pour Michel Butor un acte de la volonté. C’est le livre qui « m’abandonne », et ça tombe bien car « on en a ras-le-bol ». C’est une sorte de divorce par consentement mutuel, le lecteur potentiel jouant le rôle de la tierce personne à qui on refile un être qu’on ne désire plus.

Michel Butor est, selon ses propres dires, un polygraphe. Mais même quand l’écrivain explore tout au long de son oeuvre, comme Nathalie Sarraute, une matière identique qu’elle considère comme « la pulsation secrète de la vie », il arrive un moment où, probablement aussi par « ras-le-bol » et sans qu’il y ait d’achèvement véritable, elle a le sentiment qu’elle peut, comme à la dernière page de Martereau, ranger sa canne à pêche et plier bagages jusqu’au prochain roman.

Mais… quel est exactement ce moment ?

Je crois que Nathalie Sarraute répondrait à peu près : quand on pense avoir poussé une sensation authentique jusqu’au bout de ses forces.

P.S. J’ai déjà, il y a deux ans, fait sur ce blog et sur un tout autre sujet plus universellement captivant, l’éloge de Légendes à l’écart aux belles éditions Marcel le Poney de Kristell Loquet, livre que je feuillette et relis ça et là avec plaisir. Voici le lien :
http://patte-de-mouette.fr/2019/01/29/habiter-son-patronyme/

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3 réponses à Finir un livre

  1. Le Guennec dit :

    Il y a des moments où l’on abandonne la lecture à quelqu’un d’autre, et c’est bon de vous savoir toujours active, à lire pour nous !
    Un paresseux

  2. robinet dit :

    “quand on pense avoir poussé une sensation authentique jusqu’au bout de ses forces.”

    Cela fait penser, bien sûr, à un accouchement, avec son mélange d’épuisement et de libération, de joie et d’insatisfaction (d’où les fameuses dépressions post-natales)…
    Vient un moment, je suppose, où on ne peut plus retenir en soi cette tumeur insensée dont on ne sait plus si elle est porteuse de vie ou de son contraire… Mais finalement, je ne sais rien de précis de ces choses, puisque ce que j’écris n’est qu’assemblage de feuillets jetés au vent, avec beaucoup trop de désinvolture.
    Un abrazo

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