Vers
Michel Butor voulait faire une édition de la poésie de Victor Hugo sans majuscule en début de vers, pour que les mots se déversent mieux les uns sur les autres. N’est-ce pas d’ailleurs suggéré par l’étymologie du mot « vers » ?
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Rythme
Le romancier Haruki Murakami – grand mélomane par ailleurs – dit dans son stimulant livre d’entretiens avec Seiji Ozawa :
Ce qui compte le plus dans l’écriture ? Le rythme. Sans rythme, pas de lecteur. Sans cela, la lecture devient laborieuse. C’est par exemple le cas pour les modes d’emploi, et ceux qui en ont déjà lu savent à quel point l’expérience est désagréable. (…) En général, on peut prédire l’impact qu’aura l’œuvre d’un nouvel écrivain en fonction du rythme qu’il donne à son style.
Murakami ne cherche pas à donner une définition précise du mot « rythme » en écriture, mais je pense qu’il souscrirait à celle de Benveniste : « Forme dans l’instant qu’elle est assumée par ce qui est mouvant, mobile, fluide ».
Mais il approuverait aussi sans doute ce que disait Nathalie Sarraute dans une conférence – Le langage dans l’art du roman – qui est presque un poème, tant sa forme épouse peu à peu le mouvement de ce qui s’y dit :
C’est la sensation dont il est chargé, qu’il exprime et qu’il dégage par chacun de ses mots, qui donne au langage littéraire les qualités qui le séparent du langage commun.
Il doit s’assouplir afin de se couler dans les replis les plus secrets de cette parcelle du monde sensible qu’il explore.
Il se charge d’images qui en donnent des équivalences.
Il se tend et vibre pour que dans ses résonances les sensations se déploient et s’épandent.
Il se soumet à des rythmes.
Il retrouve des mots ou en découvre.
Il coupe ou allonge les phrases, selon les exigences de ces sensations dont il est tout chargé.
Il devient primordial.
Il s’avance au premier plan.
Il devient l’égal de ce que sont, dans la peinture ou dans la musique, la couleur, la ligne ou le son.
Lien vers un billet de 2020 sur le rythme, avec Virginia Woolf et Henri Michaux :
https://patte-de-mouette.fr/2020/09/24/bonheur-de-lecture-2-avec-woolf-le-rythme/
Je me permets de retranscrire ici la citation de Virginia Wolf que tu donnes dans ton billet de 2020, tant je la trouve magnifique : “Tout ce qu’il vous faut maintenant, c’est vous mettre à la fenêtre et laisser votre sens du rythme battre, battre, hardiment et librement jusqu’à ce qu’une chose se fonde dans une autre, jusqu’à ce que les taxis dansent avec les jonquilles, jusqu’à ce qu’un tout soit fait de ces fragments épars. (…) Laissez votre sens du rythme s’insinuer, circuler parmi les hommes et les femmes, les omnibus, les moineaux – tout ce qui passe dans la rue – jusqu’à ce qu’il les ait liés en un tout harmonieux.”
Feliz año nuevo ! Un abrazo