La mendiante grise a ses livres étalés devant elle sur le trottoir, des vieux livres décolorés que lui donnent des personnes compatissantes et qu’elle vend 1€. Parfois je lui en donne aussi, avec quelques pièces. Elle me remercie, la main sur le cœur.
Elle a une souffrance directe et visible, sans être ostensible. Ses yeux noirs assez écartés contiennent une immémoriale résignation. Ses deux fillettes viennent la voir le samedi, et sans doute son homme qui la surveille de loin en près.
Un jour je me suis dit que les fillettes seraient heureuses que je les emmène acheter un livre chacune à la librairie d’en face au lieu de s’ennuyer dans la grisaille.
C’était peut-être la première fois qu’elles entraient dans une librairie. Elles tripotaient tout comme je n’aurais jamais osé le faire, fascinées par les albums de coloriage et les paquets de gommettes. Un souvenir de La Morale du joujou de Baudelaire m’a aidée à laisser tomber mon projet littéraire : Avec cette admirable et lumineuse promptitude qui caractérise les enfants, chez qui le désir, la délibération et l’action ne font, pour ainsi dire, qu’une seule faculté, chacune a pris une boîte de gouaches pleine de pastilles colorées, un cahier de dessin, et une trousse avec des cœurs à paillettes et des têtes de chérubins roses et bleus, (« ça j’adore ! tu es trop gentille ! »).
Sur le trottoir la mère a secoué la tête, contrariée.
Puis est redevenue la mendiante grise, résignée.
Très beau. Merci Nathalie
Un abrazo
Merci à toi, (il existe une version plus inquiétante qui, peut-être, ailleurs, un jour…)
J’ai enfin sur ma table, en lecture prochaine, les Notes de l’heure offerte ! Ya te diré.