Charles et Gérard (rumination)

Peut-être ce blog s’appellera-t-il un jour Panse de boeuf car il y a encore autour de Nerval quelque chose que je remâche :

“Gérard” tient moins de place dans la prose de Baudelaire que Pierre Dupont ou Gustave Le Vavasseur. Claude Pichois rappelle (dans l’édition Pléiade des Oeuvres complètes de Baudelaire en deux tomes) que c’est pourtant Nerval qui a très directement inspiré le “Voyage à Cythère” des Fleurs du Mal, avec le fameux gibet à trois branches qu’il avait de ses yeux vu puis décrit dans un texte publié en 1844. Une  dédicace à Nerval prévue dans un premier manuscrit du poème de Baudelaire a disparu de celui de 1855, ce dont Claude Pichois (également spécialiste de Nerval) s’étonne un peu. (Ajoutons que le 26 janvier de cette même année 1855, avant ce deuxième manuscrit de Baudelaire, “Gérard” s’était improvisé le gibet où il s’est pendu rue de la Vieille Lanterne à Paris.)

Ailleurs, Nerval est mentionné en passant par Baudelaire comme une de ses “premières liaisons littéraires” à Paris, et un peu plus longuement associé dans L’Art romantique (à propos de Hégésippe Moreau) à Edgar Poe, sans partager tout a fait clairement sa qualité de génie :

Le siècle considère volontiers le malheureux comme un impertinent. Mais si ce malheureux unit l’esprit à la misère, comme Gérard, doué d’une intelligence brillante, active, lumineuse, prompte à s’instruire, s’il est, comme Poe, un vaste génie, profond comme le ciel et comme l’enfer, oh ! alors, l’impertinence du malheur devient intolérable. Ne dirait-on pas que le génie est un reproche et une insulte pour la foule !

Et ne dirait-on pas que le frère américain éclipse un peu l’ami parisien ? C’est aussi derrière Poe qu’on reconnaît Nerval dans Edgar Poe sa vie et ses oeuvres où il est loué, sans que son nom soit prononcé,  à peu près dans les mêmes termes : “un écrivain d’une haute intelligence (…) et qui fut toujours lucide“.

Sans doute ai-je tendance à me figurer, avec l’enthousiasme péremptoire des demi-savants, que personne n’a rendu assez justice à Nerval.

Dans  les  actes de ce colloque international  que je consulterai en bibliothèque : https://www.honorechampion.com/fr/9507-book-08532993-9782745329936.html; Yves Bonnefoy parle d'”une solidarité de personne à personne, sous le signe de l’essentiel”.

Alors… Peut-être la fraternité entre les deux hommes est-elle si profonde que Baudelaire n’a eu besoin de l’exposer que pudiquement. Je découvre à l’instant l’existence d’un article de Claude Pichois à ce sujet : “Nerval, figure emblématique de l’univers baudelairien”, Buba, t. X, n°2, hiver 1975.

Par la Saint Bougre (comme dirait l’âne de Tristram Shandy), voilà une rumination qui me mène à l’érudition qui me décourageait  il y a trois jours.

Au fait, Nietzsche n’a-t-il pas dit des choses sur la rumination ?

Il faut que j’aille voir ça.

 

 

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Une réponse à Charles et Gérard (rumination)

  1. Robinet dit :

    Et voici que la jolie mouette, depuis qu’elle a perdu ses pattes, semble très encline à ruminer les souvenirs ramenés de ses nombreux voyages au vaste pays de la Littérature. Baudelaire et Nerval, enchantements réciproques, vagues jalousies ? “impertinence du malheur” finira par les rassembler. De la rue de La Vieille Lanterne au “Crénom!” bruxellois c’est la même désolation. Grâce soit rendu au génie qui nous est parvenu, jailli de cet enfer !
    Pardonne ce n’importe quoi ! Un abrazo

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