Suite du billet du 23 septembre

Ce que la photo reproduit à l’infini n’a eu lieu qu’une fois. Elle répète mécaniquement ce qui ne pourra plus jamais se répéter existentiellement, dit Roland Barthes.

S’il y a du mécanique dans la photographie, on trouve une sorte de surmécanique informatique dans le “revoyez vos souvenirs” de Facebook dont je parlais l’autre jour. Car, au lieu d’aller, comme à l’époque de Barthes, chercher les souvenirs dans un album, un tiroir ou une cave où ils ont peut-être jauni, pâli, pris l’humidité, je les vois surgir sur l’écran à l’identique avec la netteté d’une hallucination, provoquant de manière aiguë et imprévue cette chose un peu terrible qu’il y a dans toute photographie : le retour du mort.

Ce n’est pas un détail particulier de la photo de Charles Mérigot qui crée pour moi un saisissement voisin de ce que Barthes nomme punctum et dont il donne des exemples sur les photos dont il parsème son livre (la collerette d’un enfant, les cailloux d’une route, la matière des ongles d’Andy Warhol…), mais le fait même de son retour inopiné sur le réseau social.

Le punctum est aussi bien autre chose. Barthes le développe au moment où il évoque la fameuse photo de sa mère enfant au Jardin d’Hiver, qui plus que toute autre a tracé en lui la zébrure fulgurante – au point que c’est cette photo qui a déclenché ce livre de deuil, le dernier écrit par l’auteur, je crois. Le punctum a lieu à partir d’un air, (une « espèce d’air » comme disait ma mère à moi), une expression des yeux, du visage, qui résume et atteste en un instant toute la personne dans toute sa vie.

L’air est ainsi l’ombre lumineuse qui accompagne le corps ; et si la photo n’arrive pas à montrer cet air, alors le corps va sans ombre, et cette ombre une fois coupée, (…) il ne reste plus qu’un corps stérile.

Le hasard a fait que j’ai peut-être un jour capté sur mon smartphone un petit quelque chose de l’air de Charles : à la fois poli, débonnaire, content d’avoir son bras posé sur sa “caseta” (le tout assisté d’un commentaire goguenard)… Mais brisons là, car l’air véritable s’impose en dehors des adjectifs et des commentaires.

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2 réponses à Suite du billet du 23 septembre

  1. Farina Marie-Paule dit :

    Ouvrant un nouveau compte facebook et ayant à “inviter” les amis de l’ancien compte à devenir mes amis sur le nouveau, j’ai éprouvé ce saisissement en revoyant les photos de trois amies FB mortes plus ou moins récemment et, bizarrement, en ne les réinvitant pas à me rejoindre sur mon nouveau compte, j’ai eu l’impression très forte de les abandonner et de les condamner à une forme de solitude et d’oubli et de me condamner moi-même à un présent ayant perdu toute possibilité de retour du passé.

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