« Parfois les mots tournent mal », disais-je ici l’autre jour.
J’étais prête à accueillir dans mon vocabulaire personnel le mot attrition dont les sonorités mélancoliques me plaisaient. Je voyais un vieillard barbu assis, la tête dans la main, accompagné d’un chien efflanqué. Ou un personnage comme celui qui apparaît au début du dernier film de Victor Erice, vivant de ses regrets dans une propriété nommée Triste le roi.
Attrition signifie au départ « usure par frottement » et s’emploie en médecine. On l’a aussi, hélas, entendu récemment dans un sens militaire à propos de l’Ukraine (et c’est peut-être pour ça que le mot me trotte dans la tête) : “guerre d’attrition”.
En théologie, le mot désigne le regret d’avoir offensé Dieu. Mais c’est une contrition un peu intéressée, dominée par la peur des peines de l’enfer.
Voilà qui commence à manquer d’allure.
Attrition est enfin un terme de marketing. L’attrition de la clientèle — churn en anglais — c’est la perte totale ou partielle de clients pour une entreprise. Cela se mesure par un taux d’attrition, churn rate en anglais.
Je sens que sur le marché des mots je ne vais pas retenir cette offre qui me donne soudain envie d’éternuer : churn… churn… atttrition… attttrition…
Les mots tournent mal ? Comme pour dissiper mon humeur chagrine, me revient en mémoire une ronde anglaise qui me montre qu’avec les mots on peut faire tourner les choses comme on veut : Ring-a ring-a rosies / A pocket full of posies / A-tishoo, a-tishoo / We all fall down.
La perte par usure s’applique-t-elle à l’amitié ?
J’adore votre ronde d’enfants –et votre humour toujours !
Votre vieillard me fait penser à la chanson de Berthe Sylva (serais-je passéiste ?):
Mon vieux Pataud, toi qu’es qu’une bête,
Tu es meilleur que bien des gens.
Pas d’attrition pour vous, décidément.
Merci, François ! Je ne connais pas Berthe Sylva.
Certains disent que la ronde d’enfants “Ring ring roses” a été écrite après la grande peste de Londres, “atishoo” figurant les symptômes respiratoires de la maladie qui fit “fall down” tant de gens !
L’attrition (par usure) ça me connaît ! Je pourrais faire une chanson mélancolique de mes découvertes médicales à force de traîner dans les hôpitaux ! En théologie, il s’agit moins de la peur de l’enfer que d’attrister l’amour (de Dieu ou du prochain puisqu’ils sont inséparables !). Comme elle vole bien la mouette qui déchiquète avec délice les ambiguités de la langue, en fait voler les éclats et nous la rend si savourable ! Dansons encore si Dieu nous prête vie, comme on disait autrefois…
Un abrazo
J’ai trouvé aussi une phrase de ton ami Julien Green qui dit, sur la contrition et l’attrition : “Est-on bien sûr d’avoir le coeur brisé après une faute grave ? “Cor contritum” ne veut pas dire autre chose. Ce brisement de coeur justifie le pécheur.” C’est drôle ! Un abrazo à toi