Bibliophilie

Je n’ai rien d’une bibliophile. Les beaux livres ont tendance à m’intimider car je ne traite pas extrêmement bien les livres ordinaires que je possède.

Lionel Ray, “Les Récits de l’ombre et autres poèmes”, Gallimard, 2023, p. 22.

Or, ayant récemment eu à rédiger une note de lecture sur le dernier recueil du poète Lionel Ray, Les Récits de l’ombre, publié l’automne dernier chez Gallimard*, je me suis aperçue que deux séries de poèmes de ce livre avaient été préalablement publiées aux éditions d’art FMA en 2020 et 2021, avec des illustrations originales du peintre Bernard Alligand. Je suis allée voir ces livres et j’ai rencontré Bernard Alligand et Françoise Maréchal-Alligand, l’éditrice, avec lesquels j’ai sympathisé.

Site internet des éditions FMA

Le Récit des ombres est un leporello (livre que l’on peut déplier comme un accordéon). Ce qui séduit d’abord, c’est l’image d’un homme seul assis dans un noir profond devant une baie lumineuse — par exemple un poète à sa table de travail dans l’ombre d’un lieu illuminé d’un grand vitrail. Mais j’ai été surtout étonnée par d’autres peintures représentant, en contre-plongée, un gratte-ciel. Aucun des poèmes du recueil ne fait, à ma connaissance, allusion à un  immeuble particulier (si l’on excepte une “dédicace”, parmi d’autres, “À des architectures sévères”). Or la veille, me promenant dans Paris, j’avais levé les yeux sur un édifice, et pensé fugacement à Lionel Ray, me disant que c’était une poésie qui donnait une architecture solide à sa profonde mélancolie : “Avec les mots construire le temps d’après, / Le temps d’avant, et regarder” (p. 38).

“Le Miroir de personne”, éditions d’art FMA, 2020.

Le deuxième livre des éditions FMA, intitulé Le Miroir de personne, est encore plus extraordinaire. Sa surface est argentée, brillante comme un miroir, et en même temps granulée ou gaufrée, ne reflétant rien. C’est exactement un « miroir de personne » dont on peut sentir au toucher le grain noir, comme une plage de lave ou de sable calciné.

Je me suis procuré ces livres et les ai installés chez moi bien en vue. Non pour faire joli, mais parce qu’ils me font découvrir une manière de lire inconnue de moi : plus fugace (mon regard accroche parfois une page en passant), plus tactile, plus rêveuse (ou différemment rêveuse), et en même temps moins séparée du monde. Je les ouvre n’importe où, les change de place, les penche de haut en bas et de gauche à droite… je découvre  à chaque fois des détails nouveaux et prends avec eux des libertés qui n’ont plus rien à voir avec mon griffonnage habituel (que je conserve toutefois avec “les livres de travail, car les marges c’est fait pour être occupé”, m’ont dit l’autre jour avec bienveillance Françoise et Bernard Alligand).

* Cet article sur Lionel Ray devrait paraître dans le numéro de printemps de la revue Diérèse de Daniel Martinez.

 

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