Un destin

Certaines destinées semblent plus que d’autres chargées des catastrophes de l’Histoire.

Celle de Chana Orloff (1888-1968) et de sa famille en condensent un nombre impressionnant.

Mon point de départ est le musée Zadkine à Paris :

La première salle de l’exposition consacrée à cette sculptrice française d’origine ukrainienne est plutôt amusante. On y voit, presque côte à côte, une sculpture en plâtre peint représentant en 1924 le peintre David Widhopff assis, fumant la pipe, jambes largement écartées dans une attitude que les anglo-saxons nommeraient “manspreading”, et une petite fille en bois nommée Nadine Vogel, debout, les mains sagement croisées sur sa jupe plissée.

La photographie d’une femme sur le mur de la salle suivante nous laisse entrevoir une artiste que rien ni personne ne devait impressionner.

Voilà qui nous donne envie d’en savoir plus.

Chana Orloff appartenait à une famille juive du Nord de l’Ukraine, émigrée suite à un pogrom  en Palestine, alors sous domination ottomane. Elle commence son apprentissage de couturière à Tel Aviv pour le terminer à Paris en 1910.

Aussitôt me vient à l’esprit une autre couturière – Marguerite Audoux – qui aurait pu être sa mère et qui elle aussi parvint à se tourner vers les arts, obtenant en cette même année 1910 le prix Femina pour son merveilleux roman autobiographique Marie-Claire (voir ma note de lecture en lien).*

En 1911, Chana Orloff, admise à l’École des arts décoratifs, commence à pratiquer la sculpture et fréquente les milieux artistiques de Montparnasse. Quelques années plus tard, elle rencontre le poète polonais Ary Justman qu’elle épouse en 1916 et dont elle aura un fils.

Ary Justman meurt de la grippe dite “espagnole” en 1919.

La carrière artistique de Chana Orloff à Paris n’en continue pas moins jusqu’en 1942, où elle et son fils échappent de justesse à la rafle du Vél d’Hiv et finissent par se réfugier en Suisse. Elle n’y emportera que de petites « sculptures de poche », comme elle dit.

En 1945 elle retrouve à Paris son atelier saccagé. Elle se rend ensuite régulièrement en Israël où elle est hautement appréciée.

Chana Orloff, “Oiseau blessé”, 1963.

Changeons maintenant de millénaire.

7 octobre 2023 : Shoshan Haran, petite-nièce de Chana Orloff et fondatrice de l’ONG Fair Planet, recevait sa famille dans sa maison du kibboutz Beeri, à 5 km de la bande de Gaza. Dans le salon, la sculpture de Chana Orloff Les Inséparables.
La maison est éventrée, la sculpture détruite, 3 membres de la famille tués, et 7 autres pris en otage. Six d’entre eux ont été libérés mais je ne sais pas ce qu’est devenu le septième**.

Notes :

*https://www.lacauselitteraire.fr/marie-claire-marguerite-audoux-par-nathalie-de-courson?fbclid=IwAR28j37QTKbgL8upv-qdrmAnrDAWnqZ0Nz_5MlNhjY9TL5-jY3yzzL0pq48

**sources : https://www.lemonde.fr/m-le-mag/article/2023/12/03/de-la-palestine-a-paris-chana-orloff-une-artiste-dans-le-siecle_6203617_4500055.html

https://www.mahj.org/fr/solidarite-avec-la-famille-de-chana-orloff

Ce contenu a été publié dans Non classé. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

4 réponses à Un destin

  1. Est-ce ainsi l’impondérable ?
    Rien n’est épargné, jamais ?

  2. Daniel Levinson dit :

    Long préambule, épilogue sidérant. Merci infiniment Nathalie.

  3. Claude Ferrandiz dit :

    Tal Shoham, 38 ans, est toujours en captivité.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *