… les chiens regardent les chiens, les enfants regardent un ballon perdu dans un arbre, les adultes regardent leurs portables, un corbeau me regarde en croassant, le grand diable aux tout petits pas agite ses bras et ne regarde rien, l’arroseur municipal fait semblant de ne rien regarder mais dévie son jet quand je passe.
Le grand diable s’est assis à l’arrêt du bus, ses sacs à côté de lui. Il se lève, pose ses sacs sur le sol, s’accroupit pour les installer, se relève (je m’étonne qu’il y arrive si bien), fait plusieurs va et vient, pose sa bouteille de coca (dont l’intérieur a une couleur de coca), redispose ses sacs par terre, se réinstalle quelques secondes, réarrange ses sacs…
Je comprends mieux les didascalies chez Beckett. Tout ce que nous plaçons, déplaçons, replaçons – les mots quand nous écrivons, par exemple – n’est-il pas aussi important que nos actions proprement dites ou les phrases que nous prononçons ?
Ce qui est le plus émouvant dans ce texte c’est l’acuité du regard ouvert à toute rencontre. Avec la même enpathie, la même attention discrète, il va de l’un à l’autre et rien ne lui échappe de ce qui fait la variéte éblouissante de la vie. Il n’est jusqu’à Beckett qui dans un tel ensemble ne trouve sa raison d’être : celle d’une pauvreté en attente d’être enfin reconnue. Jamais l’œil de ma chère mouette n’aura été aussi vif que dans cette déambulation, jamais distraite, dans une ville où la plupart choisissent de s’aveugler. Un abrazo. Despertar feliz.
merci Nathalie, tu réussis presque à me donner la nostalgie d’un temps où la moitié de mon village, la plus âgée, au balcon, sur le pas de la porte ou à la terrasse des cafés regardait et commentait les allers et les retours de ceux, plus jeunes, plus actifs qui “faisaient le boulevard” et acceptaient tous les soirs de se distraire et de les distraire ainsi. Pourquoi n’osons nous plus marcher sans autre but que de prendre l’air et de faire des rencontres? Pourquoi n’osons nous plus mettre notre petite chaise sur notre balcon ou devant notre porte pour nous régaler ainsi, par l’imagination, des vies de ceux qui nous entourent? l’abri bus comme substitut? 🙂
En te lisant je crois voir quelques chaises avec des femmes assises devant leur porte, comme dans les villages espagnols. Le grand privilège de l’âge, quand on est femme, est de regarder sans être vue 🙂