Après de andar por casa le mois dernier, voici une autre expression espagnole aussi simple que difficile à traduire :
Ser buena persona : littéralement « être (une) bonne personne ». L’expression contient en français une nuance de politesse ou de docilité bonasse absente de l’espagnol. Ser buena persona c’est être loyal, chaleureux, sans intentions perfides, et tout simplement bon. Les dictionnaires bilingues proposent en français : « être une personne de confiance » (c’est vrai mais restrictif) ; « être un homme bon » (pourquoi « homme » et non « personne » ?) ; « être quelqu’un de très gentil » (un peu niais) ; ou plus globalement « être quelqu’un de bien » (sobre mais sec). Un ami me suggère aussi “être une personne de coeur” (plus affectueux que le précédent). Enfin, depuis quelques années on entend en français l’expression « être une belle personne », où j’entends je ne sais quoi de mignard et de vernissé, alors que una buena persona peut indifféremment avoir les mains calleuses ou fréquenter les ongleries.
Je lis toujours joyeusement ce livre de Georges-Arthur Goldschmidt, écrivain et traducteur de Kafka, Handke, Stifter… qui s’entretient dans les dernières pages avec Patrick Démerin:
P. D. Il y a des mots intraduisibles tels quels, des mots qui font peur au traducteur ?
G.-A. G. Prenez par exemple « le mal » et « das Böse », ça n’a aucun rapport ! « Das Böse », c’est la méchanceté, la malveillance, il y a une intention de faire mal, de nuire. Alors que « le mal », c’est illustratif, presque sympathique, même un peu attirant. « Le mal », c’est « das Übel », ça n’a rien de méchant, de venimeux. « Le mal », ce n’est pas très mal, personne ne sait très bien ce que c’est. On ne distingue pas bien entre « le mal » et le mal aux dents. (…) Avec « das Böse », vous êtes coincé dans la méchanceté, la véhémence, la malfaisance. Avec « das Gute », c’est l’inverse. L’allemand englobe plusieurs sens et le français délimite : « das Gute », c’est à la fois ce qui est bon et ce qui est bien.
En somme, une langue délimite d’un côté, et une autre de l’autre.
(Quant au good anglais, il désigne globalementle le bien, le bon, le beau, le sain, le droit, le sage, le gentil… Et le mal anglais connaît comme l’allemand divers mots traduisant les nuances entre “bad” et “evil”… Il est singulier de voir à quel point ce qui dit le bien et le mal, le bon et le mauvais, le beau et le laid peut varier d’une langue à sa voisine.)
Prenons le problème à l’envers : comment traduire ”ser mala persona” ?
Être une personne malfaisante me conduit à proposer la solution : être une personne bienfaisante. Mais je reconnais que cette bienfaisance est moins spontanée que la simple bonté.
Ces problèmes de traductions sont de passionnants casse-têtes.
Cela sonne comme un roman pieux de la fin du XIXe siècle : “Oh, c’est une bien bonne personne”. Et l’on imagine tout de suite un curé de village louant une garde-malade, ou une vieille dame se félicitant d’une nouvelle voisine.
D’ailleurs, je crois que le français actuel n’aime pas cet adjectif. Un homme bon, c’est parfaitement moral et obsolète. Une femme bonne, ça existe sûrement mais ça ne se dit pas ( sinon « qu’elle est bonne » mais c’est autre chose !). Un bonhomme ou une bonne femme, d’après Sollers, c’est celui ou celle qui n’a plus de vie intime et n’en veut plus. Quant à la bonne personne, elle est seulement adaptée à un poste ou à une fonction.
Comment être bon dans ces conditions ?
Exactement ! On préfère aujourd’hui être beau : passer une belle journée, de belles vacances, avoir un bel anniversaire entouré de belles personnes.