Je ne m’habitue pas bien à certains mots, certaines lettres, certains sons :
– L’orthographe du mot « coccyx ».
– Que le mot « relais » prenne un s et que le mot « tournoi » n’en prenne pas, puisqu’on dit « relayer » et « tournoyer ».
– Le mot « purpurin » me fait rougir dans son mélange d’éther et de fange.
– Le mot « putois » qui signifie « puant » (comme le mot “pute”, d’ailleurs), humilie inutilement ce joli mustélidé, car les belettes et les furets dégagent aussi une odeur fétide en cas de danger, preuve de leur pacifisme et de leur intelligence.
Mais venons-en au fait : je ne m’habitue surtout pas bien, depuis deux ou trois semaines, à certains passages de La Haine de la musique de Pascal Quignard (voir ici, billet du 14 janvier), notamment ceux du chapitre qui porte ce nom (pourquoi donner à un livre entier le titre de son chapitre le plus désagréable ?) C’est moins, du reste, son contenu que son ton méchant qui me déplaît. Je comprends bien que « la musique fait mal », parce qu’elle est irrésistible et que, comme dit Gabriel Fauré, elle entraîne « un désir de choses inexistantes ». J’éprouve moi aussi ce sentiment d’impuissance et de chagrin, mais je n’arrive pas à supporter qu’un écrivain des plus mélomanes et cultivés la trouve autoritaire et nazie sous prétexte que, jouée dans les camps, elle tirait vers la mort.
J’écoutais l’autre jour « Several trains » de Steve Reich, œuvre pour bande magnétique et quatuor à cordes, composée en 1988 à partir des voyages en train que le musicien américain effectuait enfant, au début des années 40, de New York à Los Angeles entre les domiciles de ses parents séparés. « Bien qu’à l’époque ces voyages fussent excitants et romantiques, je songe maintenant qu’étant juif, si j’avais été en Europe pendant cette période, j’aurais sans doute pris des trains bien différents », dit-il laconiquement. L’œuvre, tout en évoquant le mouvement ferroviaire et plusieurs bruits de trains, contient des paroles enregistrées d’anciens déportés, et ces rythmes lancinants me confirment ce que Pascal Quignard est le premier à savoir : que la musique est plus forte que tout discours sur elle, et que ses mots sont aussi vains que ceux qu’il aurait prononcés pour calomnier une ancienne maîtresse.
Vous avez toujours tant d’à-propos, et vous voir sauter d’un caillou à l’autre est très réjouissant. Et beaucoup de sérénité aussi puisque vous pouvez écouter Steve Reich d’un bout à l’autre.
Mais un joueur de scrabble doit rêver de ‘coccyx’ toute sa vie.
🙂 🙂 Je ne sais même pas s’il y a 3 “c” dans un jeu de scrabble !
Merci pour vos compliments. Mais ceci n’est qu’une petite partie du morceau de Steve Reich… Pas sûr que je pourrais l’entendre en une fois tout entier.
Bonjour Nathalie. Ce mot de coccyx auquel vous ne vous habituez pas (mais ça n’est pas très grave, car on le place difficilement dans la conversation [imaginez que vous soyez reluctante au mots oui, ou au mot non]), ce coccyx donc me rappelle que l’iliaque est l’os du c.., ce que vous n’ignorez pas, helléniste.
Plus sérieusement, vous me faites découvrir Different trains de Steve Reich. La musique est un univers en soi, elle se suffit à elle-même et la partie instrumentale de ce morceau suffirait à me suggérer l’intention originelle. Les textes et la mise en scène me gênent. Quand j’écoute un morceau de musique, je ne peux ni lire, ni manger , ni faire autre chose en même temps. Je ne pourrais de toutes façons voyager longtemps dans ces Different trains, dont les redites me rappellent les scies de Michael Nyman et de Philip Glass. Une époque, un style – pas ceux qui me font voyager loin.
Oui, un peu dur à écouter longtemps, mais plus fort que certains propos de Pascal Quignard. Quand je vais (ou allais, ou irai) à l’opéra, la qualité d’une mise en scène est pour moi complètement subordonnée à la musique. Je ne tiens pas à ce que les chanteurs se contorsionnent ou que les décors soient originaux, avec vidéos et effets sophistiqués. Ce qui compte, c’est qu’on entende bien.