Comme chaque écrivain a ses “paysages”, disait Jean-Pierre Richard, chaque écrivain a des objets imaginaires privilégiés que l’on sent à la source de leur élan d’écriture. Sans connaître parfaitement Jean-Christophe Bailly, je crois par exemple que la pelote, dans ce qu’elle peut avoir de buissonnant et d’embrouillé, est particulièrement chère à son imagination. L’histoire, la géographie, le monde urbain, le monde animal se présentent à lui sous forme de grandes pelotes « de signes enchevêtrés » dont il se plaît à tirer quelques fils.
Chez Jacques Ancet, du moins dans Les Livres et la vie, j’ai noté le retour du mot poudroiement. Le quotidien se présente d’abord à lui sous la forme d’un poudroiement que l’écriture peut tenter de rassembler en écharpe pour constituer ce qui m’apparaît comme une voie lactée de mots. Car dans l’écriture elle-même des poèmes en prose, un poudroiement verbal vient mettre en pièces le déroulement continu des phrases qui le contiennent néanmoins, et c’est de là que naît le rythme :
De ce contraste naît le rythme, puisque chaque élément nouveau, chaque notation est le surgissement instantané d’une forme qui n’a pas le temps de s’épanouir et ne cesse de se transformer dans le mouvement qui la porte.
Et c’est encore l’image de la Voie lactée dite “galaxie spirale”qui m’apparaît :
Ce qui se fait jour dans ces textes, c’est moins une écriture de la métaphore que de la métamorphose : ça change toujours et toujours ça recommence, ça ne cesse de se transformer dans chaque forme nouvelle en un perpétuel avènement qui n’est rien d’autre que le présent. D’où l’importance du rythme : l’image (…) compte moins que le passage continu d’une notation en soi banale, à une autre, leur accumulation produisant un poudroiement – un clignotement – d’où se dégage globalement une vision du réel (…)
Poudroiement du réel et poudroiement verbal, dispersion et concentration, discontinuité et continuité, dilatation et contraction, avec une voix pour donner à ces mouvements une “identité obscure”, tel me paraît le travail complexe d’écriture poétique que définit Jacques Ancet dans Les Livres et la vie.
Le poudroiement du présent. C’est très beau. Non pas le “perpétuel retour”, mais l’émerveillement de ce qui se renouvelle sans fin. Epiphanie de l’instant pour qui sait regarder et s’étonner encore. Merci pour cette lumineuse intuition, si bien reprise ici.
Un abrazo
Jacques
En effet, pas de perpétuel retour, mais des intensités et des récurrences. Il dit aussi : “Le temps ne coule plus, il se dilate, devient volume animé de mouvements”. C’est ce que j’avais également trouvé chez Nathalie Sarraute.
Un abrazo,
Nathalie
“Midi le juste y compose de feux
La mer, la mer toujours recommencée.”
Justement Le cimetière marin parut en 1922 !
Jacques Ancet cite plusieurs fois Valéry, notamment sa définition du rythme, avec la répétition qui donne au successif “quelque chose du simultané”.
La dernière phrase du livre est : “Il me reste du poème quelque chose comme le bruit de la mer…”