C’est une singulière expérience que de lire ce récit poétique de Jon Fosse.
Car Jon Fosse est un écrivain qui donne envie d’écrire, et d’écrire comme lui, un long monologue qui s’ouvre par “Et”, et qui n’a pas de points (à moi qui ne fais que des parenthèses et des phrases coupées de peur qu’on me coupe. Et qui m’immobilise à la moindre perturbation comme un moucheron). La phrase de Jon Fosse exclut la parenthèse dans la mesure où tout est prélude à autre chose, suit le cours d’un déplacement du narrateur, de ses multiples divagations, digressions, répétitions, infimes variations. Et de digression en digression, de répétition en répétition, de variation en variation coule un récit envoûtant dont les mots ressemblent aux flocons de ses paysages enneigés, à ses fjords, à l’eau qui sourd des roches en per…
Explosion. Dans la rue, une bande de lycéens vient de faire exploser un pétard qui m’a transpercé les oreilles, et ma main s’est brutalement crispée.
Dans un pays en proie aux bombardements, pourrait-on écrire comme Jon Fosse avec tant de silence dans les mots ? (Je me souviens de la maraîchère ukrainienne qui racontait: “Les moteurs d’avions, d’hélicoptères, tout le temps, et puis boum, boum, boum…”)
Je ne sais pas si on le pourrait. Cette “prose lente”, comme dit l’auteur, est signifiante dans sa coulée même, car elle dit que Asle, son narrateur, peintre d’un certain renom qui expose régulièrement dans une galerie, n’est pas si différent de son homonyme et ami Asle, peintre qui se noie dans l’alcool pour ne pas se noyer dans la mer, et que le narrateur Asle emmène à l’hôpital en état de coma éthylique. Cette coulée d’écriture dit aussi que “la différence n’est pas si grande, oui, la différence entre la vie et la mort, entre les vivants et les morts, bien que cette différence paraisse indépassable elle ne l’est pas” (p. 73). Asle le narrateur parle tous les jours à sa femme décédée Ales, également peintre, et je retrouve dans cette proximité des morts et des vivants la sensibilité nordique qui m’avait envoûtée chez Selma Lagerlöf.
Le lent flot d’écriture dit aussi beaucoup de choses sur voir, sur peindre, sur l’amitié, sur Dieu, sur la prière, et de manière plus générale sur la lumière, avec une musicalité qui fait de l’ensemble un air sans début ni fin, un « palais d’échos », comme dit Feya Dervitsiotis*.
Je sens qu’après avoir obtenu le Nobel 2023, son auteur va entrer en lice pour le prix Patte 2024…
*Voir son excellente analyse dans la revue En Attendant Nadeau https://www.en-attendant-nadeau.fr/2021/11/03/jon-fosse-romancier/
je ne sais pas si Jon Fosse me donnera envie d’écrire mais ce qui est sûr c’est que toi, tu me donnes très envie de le lire et de cela je te remercie
Merci ! J’ai appris que le courant littéraire de Jon Fosse se nomme “réalisme mystique”. Certes, ce n’est pas du Lucrèce 😉 mais cette étiquette me semble un peu réductrice.