L’autre jour à Merville, un jeune homme rose et rondelet distribuait à pied des prospectus dans les boîtes aux lettres des villas. Quelque chose de simple et d’avenant dans son attitude m’a poussée à lui adresser la parole. Voyant un berger allemand sans maître qui trottait sur la route et m’inquiétait un peu, je lui demande : « Il est à vous, ce chien ? » Il me répond : « Non, moi je distribue des prospectus ». Premier décalage : pour moi il n’est pas incompatible de distribuer des prospectus et d’avoir un chien avec soi. Pour lui il y a deux activités bien distinctes : promener un chien, et faire son travail de distribution de prospectus. Il me dit, main tendue : « Vous en voulez un ? » Je réponds, main tendue : « Si vous voulez.” Puis je tape de plus belle à côté : « J’ai fait ce boulot quand j’étais jeune. » Et avec un clin d’œil, tendant à nouveau la main : « Je peux vous en débarrasser. » Il se dresse avec un sourire heureux : « Je suis distributeur de prospectus. Chez moi, on l’est de père en fils”. Je suis restée un peu honteuse, en proie à un net sentiment du porte-à-faux.
Je ne trouve pas d’autre expression que celle-ci ̶ sans doute aussi bancale que ce dont elle parle ̶ pour désigner une forme légère de malentendu. Nous sommes les uns pour les autres à côté de la plaque, à côté du pont, debout chacun sur un îlot relié ou non, au gré des marées, à d’autres îlots. Le sentiment du porte-à-faux n’exclut pas l’estime et l’affection. Toi et moi jouons à patauger dans la mer. Tu ouvres les bras, je m’y jette, tu m’avoueras la nuit entre deux baisers que tu ne voulais d’abord que m’asperger. Ton protocole de séduction est plus espiègle que le mien, et après tout « la dissonance est la voie de l’unisson », dirait Zeno, le personnage d’Italo Svevo qui décide d’aimer Ada et se retrouve marié avec sa sœur Augusta. Arrive-t-il que je te donne exactement ce que tu souhaitais recevoir ? Ai-je reçu ce que tu pensais me donner ? Peu importe. « La vie n’est ni belle ni laide (…) je trouve plutôt qu’elle est originale », m’assure Zeno.
La dissonance ou les pas de côté (à côté) permettent de rassembler les lignes de perspective que nous suivons en agissant… Eh oui, alors, la voie de l’unisson est multiple et n’arrive pas forcément où on avait imaginé qu’elle débouche.
C’est dans les pas de côté qu’on se découvre, non ?
Oui, peut-être, et j’ai fait mienne la devise de Zeno : “La vie est originale”. Merci de m’avoir lue et commentée. Je viens de voir sur votre site que la dissonance vous est familière !
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