Tingting
• Message de Laurence à ses collègues
J’ai longuement parlé aujourd’hui avec Tingting qui est complètement au bout du rouleau. Elle est désespérée par ses notes, se trouve « conne » (dixit), d’autant plus qu’elle est une fille, et petite par-dessus le marché. Elle ne comprend rien au lycée et a l’impression de n’avoir plus de cerveau. Elle m’a avoué qu’elle était tombée dans les escaliers vendredi tellement elle était fatiguée, et a TRÈS peur d’être expulsée de France. D’où sa panique totale quand elle voit ses notes car on lui a dit que sa seule chance de rester en France était qu’elle travaille bien.
Je l’ai rassurée comme j’ai pu. Pourrions-nous, chacun à notre manière, l’aider un peu ?
• Portrait de Tingting
Elle est en effet une fille, et petite. Elle a une tête ronde, des yeux ronds, un visage expressif comme celui d’un Pierrot, passant très vite de la joie enfantine au sérieux ou à la douleur. Un visage de film muet qui attache un cinéaste et irrite un sadique.
Tingting, malgré tous ses efforts, n’arrive pas à prononcer le r derrière une autre consonne, en particulier le f ou le v. Sa hantise est le mot février : pendant ce mois, elle n’ose pas prendre un rendez-vous de médecin pour sa mère non francophone et chroniquement malade.
• Le destin provisoire de Tingting
Tingting récite pour moi la crrrenouille voulant se faire aussi crrrosse que le bœuf, sourcils froncés, regard féroce, lèvres en avant, voix grondante :
La chétive pécore
S’enfla si bien qu’elle crrrrreva.
Je lui dis : « Je crois que La Fontaine aurait aimé ».
Quelques semaines après le message de Laurence, Tingting apprenait qu’elle était régularisée en France, non parce qu’elle « travaillait bien », mais parce qu’elle était arrivée avant l’âge de 13 ans. Son prestige auprès de certains camarades, arrivés parfois à 14 ans, s’en est trouvé accru. Mengru s’est mise à lui faire des compliments sur ses chaussures.