Dans le Poème de la mer

Bonheur de nager un dimanche de juillet dans une mer calme avec une personne que l’on aime en essayant de se souvenir ensemble des strophes du Bateau ivre.

Certains vers me mettent les larmes aux yeux, pas toujours les mêmes. Aujourd’hui, « Et rythmes lents sous les rutilements du jour » luit et résonne en moi d’une vague à l’autre.

Quel mystérieux fluide contiennent ces vers pour couler ainsi dans toutes nos veines un siècle et demi plus tard ?

Clapotements furieux ou rythmes lents des marées de Rimbaud

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J’ai une sympathie non équivoque…

… pour cette toile d’araignée qui caresse comme une chevelure d’ange un vitrail de Claude Baillon dans l’église de la Couvertoirade (Aveyron).

       Lumineuse photo prise le mois dernier par mon ami Daniel Levinson.

 

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Autres notes de juillet

Sympathie équivoque

Quand j’avais onze ans, grand-mère disait que j’avais une araignée dans la tête.

Plus tard, Louise Bourgeois m’a aidée à sympathiser avec les araignées.

Maintenant, je sais que l’araignée reconstruira la toile que ma tête de loup est en train d’avaler. Je la fais disparaître en admirant d’avance sa ténacité, et je me souviens de cette phrase citée par Bachelard dans La Terre et les rêveries du repos : « Je voudrais être comme l’araignée qui tire de son ventre tous les fils de son œuvre ».

***

Insularité

C’est un mot qu’aime Henri Michaux.

Je voudrais gagner en insularité, et qu’importe si l’île est un îlot du moment qu’il est mien.

 

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Trois poèmes de Michèle Finck

Mot qui manque
Touche au fond
De l’origine
*
La mer relie
À ce qui nous dépasse
Ainsi la poésie
*
Le mot
Qui manque
N’existe
Pas

Mais
Il
Annonce
La
Poésie

Balbuciendo est le titre d’un autre livre de Michèle Finck. Je sens que je n’ai pas fini de découvrir cette « voix rythme » et cette écriture hybride en vers, en prose, en récit, en poème, toujours en mouvement.

 

 

 

 

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Ma maison

Ma maison n’est pas coquette. Elle ne fait pas partie de celles qui “calculent leur paraître”, selon l’expression de James Sacré.

C’est une maison où des gens ont vécu ensemble pendant assez longtemps, une famille après une autre, depuis bientôt un siècle.

Ce n’est pas ma maison de famille, donc je n’y sens pas de fantôme. Mais elle me rappelle plusieurs maisons de famille : de moi, d’autres personnes, de livres. Elle est à moi et comme moi.

Elle a un escalier, un jardin de devant et un jardin de derrière qui communiquent par un étroit passage et ne se ressemblent pas.

C’est une maison d’enfance, d’adolescence, d’âge adulte, de vieillesse. Une maison de tous les âges, pas forcément les miens.

La laisser être ce qu’elle est. Ne pas la photographier, ne pas la décrire davantage.

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La Confianza

“Ultramarinos” signifie “épicerie”

Je connaissais l’épicerie la Confianza par l’éditeur de la Ramonda Charles Mérigot que les professionnels du livre regrettent tant aujourd’hui en Aragon. Il s’y rendait pour acheter des bonbons Sugus chaque fois que se déroulait à Huesca un Salon du Livre. Je trouvais le lieu extraordinaire ainsi que sa patronne, María Jesús Sanvicente, sans savoir encore qu’il possède une fiche Wikipedia, des articles dans El País, le New York Times, le Herald Tribune, cinq étoiles sur Trip advisor… Sans savoir non plus qu’il est inscrit au Patrimoine historique commercial de l’humanité.

Un écriteau dit à la porte : « Prière d’acheter quelque chose si vous entrez », tant les touristes se bousculent pour photographier.

La semaine dernière, lors de mon séjour à Huesca, je suis entrée et me suis présentée à María Jesús comme une amie de Charles. Elle a aussitôt interrompu ses rangements de rayons et m’a dit, et répété : « Quelle tristesse… Quel homme extraordinaire… Si humble, si humble, et si savant. Il avait toujours des livres avec lui… Un jour je lui ai dit que je pourrais pas lire ses livres, que je ne sais pas le français, et lui, au lieu de me proposer d’en acheter une version espagnole, m’a répondu que ça n’avait aucune importance, et je l’ai apprécié pour ça. Si humble et si savant…», disait-elle encore et encore avec bonté.

Peinture du plafond de la Confianza

Je lui ai acheté une bouteille d’huile d’olive choisie par elle : « C’est le pressoir d’un ami dans un village d’à côté. Ses enfants vont à la même école que mes petits-enfants, et quand on se rencontre je lui dis parfois : Descends-moi quelques bouteilles. »

J’ai pris aussi une boîte de massepains à la châtaigne : « Ah, ça ce sont trois sœurs qui les font… »

Tout a une histoire, les produits comme les gens qui les font. Sous ces plafonds peints, ces murs ornés de miroirs, ces tiroirs cirés et décorés, on est bien loin des commerçants qui vendent « en direct de la ferme », « circuit court, local », « agriculture raisonnée », dans leurs caisses en bois posées sur de grossiers planchers marronnasses, disjoints et pleins de nœuds.

Et j’ose à peine dire que chez María Jesús Sanvicente tout est vrai et authentique, car ces adjectifs sont devenus faux et inauthentiques.

Mais quelle boutique aurait aujourd’hui l’idée de porter le merveilleux nom de La Confiance ?

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Petites notes de juillet

Souhait d’été

Que ma peau me soit ailes et maison comme celle des coccinelles.

Ne vous inquiétez pas

Je n’aime pas une certaine manière de dire “Ne vous inquiétez pas”. Surtout répété : “Ne vous inquiétez pas, ne vous inquiétez pas.” Ce qui signifie : “Votre inquiétude m’importune”.
En revanche j’aime bien quand, en présence d’un symptôme, le médecin me dit : “Je ne suis pas inquiet”.

Mes cahiers de citations

Je suis toujours surprise, quand je les feuillette, de leur actualité. Rien n’y est démodé. C’est le contraire d’un album de photos, c’est comme une boîte que l’on ouvre et qui mène au fond de nous-mêmes.
Ouvrons le dernier au hasard : « On ressemble à ce qu’on contemple », Plotin.
Quelques pages plus loin, une phrase de Joë Bousquet semble être là pour la compléter : “La vie est autour de nous, ce que nous sommes nous en sépare.”
Etc.

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Cuculiformes

Le coucou gris de chez nous appartient à l’ordre des cuculiformes, disent les ornithologues. Juste avant la fécondation, le coucou mâle présente un petit brin d’herbe au coucou femelle.
C’est bucolique, la copulation des cuculiformes.

Mais comme on le sait, son idylle à peine dénouée, la femelle s’envole vers le nid d’un autre oiseau pour y pondre et laisser les futurs cuculets en couveuse. La voici libre comme l’air. Je devine pourquoi cette pratique a engendré le mot cocu et inspiré la complainte du mari trompé : Ne prenez point femme dans le mois de mai / Moi j’en ai pris une qui s’est foutu d’moé. / J’ai ouï le coucou, j’ai ouï le coucou chanter. (Il y a des variantes).

Ce n’est pas tout : il paraît qu’une fois sorti de l’œuf, le petit coucou se fait nourrir et réchauffer pendant une semaine par ses parents adoptifs. Les bons morceaux de tout, il faut qu’on les lui cède, comme dit Molière dans Tartuffe, quitte à jeter hors du nid les oisillons légitimes Sans délai ni remise, ainsi que besoin est.

Qui croirait que les deux notes claires des cuculiformes recouvriraient tant d’infâmie ?

Bachelard s’amuse de ce que l’esprit des hommes construit à partir des mœurs de cet oiseau :

(L’imagination) se complaît à ajouter des ruses, des savoirs aux habitudes de l’oiseau squatter (…) Cet animal qui dit « cou-cou » connaît bien l’art de se cacher. Il est un plaisantin du jeu de la cachette. Mais qui l’a vu ? Comme tant d’êtres du monde vivant on connaît plus le nom que l’être. (…) S’étonnera-t-on que l’oiseau qui sait si bien se cacher ait pu se voir attribuer une telle puissance de métamorphose que pendant des siècles, au dire de l’abbé Vincelot, « les anciens aient pensé que le coucou se transformait en épervier ?
(La Poétique de l’espace, ch. V, 10).

 

 

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Respirer seulement

En annexe du billet précédent sur le goût de vivre qui se dégage du dernier livre de Jacques Robinet, cet inoubliable début de L’Homme des foules d’Edgar Poe :

(…) Il n’y a pas longtemps, sur la fin d’un soir d’automne, j’étais assis devant la grande fenêtre cintrée du café D… à Londres. Pendant quelques mois, j’avais été malade ; mais j’étais alors convalescent, et, la force me revenant, je me trouvais dans une de ces heureuses dispositions qui sont précisément le contraire de l’ennui, — dispositions où l’appétence morale est merveilleusement aiguisée, quand la taie qui recouvrait la vision spirituelle est arrachée (…). Respirer seulement, c’était une puissance, et je tirais un plaisir positif même de plusieurs sources de peine. Chaque chose m’inspirait un intérêt calme, mais plein de curiosité.

Elégance,  simplicité, précision… “Respirer seulement, c’était une puissance”.

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Sans y croire pour y croire

Boîte en fer

J’ai retrouvé une vieille boîte en fer carrée « Galettes de Pleyben » pleine de vieilles photos, vieilles lettres de plusieurs époques, vieux carnets de lecture quand j’avais seize ans. Et surtout (il y a plusieurs « surtout » dans une boîte à souvenirs mais celui-ci est le plus saisissant), ce billet de Sarah à Claire, intercepté il y a une dizaine d’années dans une de mes classes :


Peut-être était-ce tout simplement mon cours de français qui leur semblait mortel et le lycée qui les enterrait vivantes. En tout cas,  elles ne sont passées ni l’une ni l’autre à l’acte fatal dans les jours qui ont suivi. Ensuite, Internet me montre que Claire est sortie sans dommage visible du gouffre de l’adolescence.
(Mais Sarah, rigolarde et fragile, où est-elle et qui est-elle dix ans après ?)

Notes de l’heure offerte

Autre âge, autre attachement à la vie.

En lisant Jacques Robinet, on se dit qu’écrire c’est apprendre à mourir, et cinq minutes après on se dit exactement l’inverse.

Je rôde autour de ma mort comme un chien déterre un os caché. Par jeu, sans y croire, pour y croire.

Plutôt déterrer qu’enterrer. Demander au bourreau de suspendre son geste, le temps d’écrire un avant-avant-dernier hommage à la vie :

La joie du noyé qui retrouve la surface de l’eau. Aimer d’autant plus la vie que je la sais, à chaque instant, menacée en moi et autour de moi. L’aimer comme une trêve savourée lors d’un perpétuel combat.

Jacques Robinet enregistre le passage des années et s’émerveille d’être au monde avec une intensité qui me donne l’étincelle d’une alternative au morne constat que « la vieillesse est un naufrage ».

L’âge m’isole et me protège à la fois (…) Tout se rétrécit et, inexplicablement, m’ouvre un espace inexploré.

Quand j’avais l’âge de Claire et de Sarah, aurais-je éprouvé la même joie à écouter la grive et le coucou le mois dernier ; à contempler hier les reflets fantomatiques de l’étang sur les feuilles du marronnier ; à improviser ce matin un taboulé à l’avocat et aux fruits de mer ; à voir, entendre, faire toutes ces petites choses qui nous attachent à la vie ?

 

 

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Volontilité

J’ai griffonné l’autre nuit dans un début de réveil :
« Cette volatilité de tout. Des pensées comme des moineaux. Volatilité mais insistance. Retour, volonté. Volontilité. »

Au matin, une journaliste de France Inter conseillait de compter les oiseaux de notre jardin et de transmettre le résultat à un observatoire.
Compter des oiseaux ! Leur dire, comme aux élèves qu’on emmenait en excursion :  “Bougez pas, on vous compte.”

Me revient le poème de Henri Michaux L’oiseau qui s’efface (La Vie dans les plis) :

Il bat de l’aile, il s’envole.
Il bat de l’aile, il s’efface.

Il bat de l’aile, il réapparaît.

J-L. Gérôme (vers 1849). Léonard de Vinci libérant des oiseaux

J’ai l’impression qu’on supporte aujourd’hui moins bien qu’au siècle dernier de voir un oiseau en cage. Tous les jours je passe devant un fleuriste qui étale sur le trottoir des plantes luxuriantes au milieu desquelles trois perruches pépient derrière leurs barreaux d’une manière qui me semble pathétique. Sachant que les perruches se sont bien acclimatées à l’Ile de France, j’ai à chaque fois le projet de les acheter pour les libérer comme faisait Léonard de Vinci.

Après une vingtaine de pas je les oublie.

Volontilité.

(D’ailleurs elles ne sont pas à vendre).

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