Pour Marie-Paule et Claude
Je ne sais pas si les bourdons et les papillons arrivent à pomper en une fois tout le nectar de chaque fleur qu’ils butinent, mais je sais que lire pour moi, c’est souvent bombiner autour des mêmes auteurs. Un retour à Michel Butor va donc être aujourd’hui ma mise en bouche d’une nouvelle lecture de Roberto Juarroz.
“Le livre que j’écris n’est jamais fini”, disait Butor avec sa franchise débonnaire que j’associe à sa grosse barbe et à son éternelle salopette. “C’est lui qui m’abandonne “, en un point où “je ne sais plus quoi faire” (voir sur ce blog le billet du 29 avril dernier).
« Ne plus savoir quoi faire » est sans doute l’indicateur essentiel. S’il s’agit d’un récit, il me semble que la fin de son écriture n’a rien à voir avec le dénouement narratif (que son auteur connaît plus ou moins d’avance). Je crois qu’on a fini d’écrire quelque chose lorsqu’on a l’impression que le son fondamental qu’on émet contient suffisamment d’harmoniques, au sens musical du terme*.
Pour le dire autrement (ou pour dire autre chose), c’est dans sa dimension verticale qu’un récit peut avoir besoin d’être corrigé, retravaillé, creusé. Cet adjectif me donne envie de faire intervenir ‒ sans ordre et peut-être à contresens ‒ quelques Fragments verticaux de Roberto Juarroz particulièrement stimulants :

traduit de l’espagnol par Silvia Baron-Supervielle, collection “en lisant en écrivant”, josé corti, 1994.
Certaines fleurs s’attroupent pour fleurir, et elles ne fleurissent pas. Alors elles attendent. La force de cette attente peut peupler les déserts (p. 23).
Soudain des parties de moi surgissent entre parenthèses (p. 35).
Entre des blocs de songe s’infiltre, comme une aube, la peau éveillée de la musique (p. 37).
Une notion enrichissante chez Juarroz est aussi celle de fidélité. Un de ses livres s’intitule Fidélité à l’éclair, et je lis dans un Fragment vertical qu’il existe de même une « fidélité à l’imagination » :
(…) Sans fidélité à l’imagination, il n’y a pas de poésie : sans fidélité à l’image créée (p. 80).
Je fais intervenir les fragments de Juarroz « sans ordre et peut-être à contresens », ai-je écrit tout à l’heure ? Je conçois que mes propos d’aujourd’hui puissent paraître un peu boiteux. Mais Juarroz me dit maintenant :
La seule manière d’accueillir une création, c’est de la créer à nouveau et peut-être de s’y recréer avec elle (p. 79).
* Un harmonique est un son musical dont la fréquence est un multiple entier de celle d’un son de référence. Même s’ils sont plus aigus et plus faibles en intensité, ils participent à notre perception du timbre de la note.











