Il y a des surprises de lecture comme des surprises de l’amour.
Je l’ai éprouvée récemment en lisant Histoire secrète où Pavese donne des aperçus de son enfance piémontaise, avec les deux figures tutélaires du père et de son épouse Sandiana. Le garçon pénètre à travers eux le mystère des êtres, des collines, de tout ce qui naît de la bonté de la terre comme les prunelles qui forment des haies épineuses au bord des ravins.
Les fruits, selon le terrain, ont bien des odeurs. On les connaît comme si c’étaient des personnes. Il y en a de maigres, de sains, de mauvais, d’aigres.
Si ce récit m’est allé droit au cœur, c’est en partie parce que cette expérience des prunelles ressemble à la mienne des noisettes qui tombent de la branche que l’on secoue avec un bruit sec ou que l’on sent rouler sous les pieds, que l’on garde dans sa poche, que l’on casse avec une pierre, et qui ont chacune leur personnalité : douce, généreuse, laiteuse, ou au contraire amère, sèche, ou tombant en poussière après le passage d’un asticot. “Comme chaque individu a son grain de voix et chaque écrivain son grain de peau, chaque noisette a son grain de goût”, disais-je sur ce blog en octobre 2017.
Mais bien au-delà des noisettes, Pavese soulève doucement et incomplètement en moi un voile, comme lorsqu’il passe le long de ces maisons de ville dans les ruelles fermées :
(…) où s’ouvraient des portails sur des jardins inattendus. Je les entrevoyais en allant à l’école et je pensais que c’était une nouvelle campagne plus secrète et plus belle. (…) Mais je ne mettais pas les pieds dans les cours, je me contentais de passer ; quand il y avait une vigne je me demandais pourquoi Sandiana n’était pas restée et j’imaginais que j’y venais maintenant, que je montais les grands escaliers solennels, que j’étais avec elle dans l’immeuble.
À la ville comme à la campagne il n’est pas nécessaire de tout voir. Il y a des choses « dont il suffit qu’elles existent et qu’on est heureux de le savoir ». Je ne vois pas tout non plus dans ce récit de Pavese semblable à une mine dont je devine la profondeur sans en épuiser les richesses.