En passant la semaine dernière Praza da Quintana à Santiago de Compostela, j’ai pris cette photo célébrant les héros du « Bataillon littéraire » dont le nom martial ne pouvait qu’être remarqué par une rédactrice de La Cause littéraire.
Wikipedia et le journal Correo gallego m’ont donné de plus amples informations que je vous résume à ma façon : il s’agit d’un mouvement patriotique issu des étudiants de l’université de Santiago de Compostela en 1808 contre les troupes de Napoléon. Comme il manquait à la brigade un chef d’expérience militaire, on choisit un homme dont le nom aurait fait rêver Voltaire ou Beaumarchais : Juan Ignacio de Armada Caramaño Ibáñez de Mondragón y Salgado de Sotomayor, marqués de Santa Cruz de Rivadulla. Pour inspirer confiance aux étudiants et « unir Minerve à Mars », il fallait qu’il ajoute à son autorité militaire et à ses quartiers de noblesse quelques galons universitaires. On n’hésita pas à lui accorder le titre de Docteur ès Toutes Disciplines – doctorat héréditaire, selon son arrière-arrière-petit-fils (…) Les troupes d’étudiants se battirent très bravement, beaucoup d’entre eux périrent, et le bataillon fut dissous en 1810, quand les Français se retirèrent de Galice.
Mais mon histoire n’est pas finie :
Wikipedia et Correo gallego joignent à leur récit la même photo que moi, ou plutôt pas tout à fait la même.
Le cadrage qu’ils ont choisi ne montre pas cette inscription à demi effacée dans la pierre du mur, au-dessus de la plaque, partiellement visible sur mon propre cliché : « José Antonio Primo de Rivera ». Je m’apprêtais moi-même à trouver hors sujet ce fondateur de la Phalange (organisation paramilitaire qui deviendra un pilier du régime de Franco), exécuté dès novembre 1936 par un tribunal populaire, présenté ensuite par les franquistes comme la Victime par excellence, et reposant aujourd’hui au mausolée du Valle de los Caídos non loin de Franco. Mais au moment de rogner à mon tour ma photo, je me suis dit que cette superposition d’inscriptions avait son intérêt : comme la vie psychique individuelle, l’histoire d’un pays est faite de ces couches que le temps efface, découvre, mêle, et je reste intriguée par ce mur de la Praza da Quintana qui n’élimine pas de force les souvenirs gênants mais ne contrarie pas non plus l’érosion naturelle de la pierre.
C’est ensuite à chacun de cadrer ses photos comme il l’entend, pensais-je encore hier.
Mais ce matin l’oiseau qui jacasse souvent en moi me dit : “C’est plus compliqué que ça ! dans ta béatitude de touriste, tu oublies qu’en vertu de la loi de 2007 sur la Mémoire historique, tous les symboles franquistes doivent être éliminés des lieux publics.” En effet, ce que ne montre pas ma photo, c’est une croix blanche, érigée en l’honneur de José Antonio selon un autre article de Correo gallego https://www.elcorreogallego.es/santiago/ecg/simbolos-franquistas-fueronsantiago-hacer-mucho-ruido/idEdicion-2007-10-20/idNoticia-222457
Cette croix que je croyais appartenir, sans que s’y attache un symbole fasciste, au monastère de los Pelayos dont ceci est le mur, me paraissait sans doute trop insignifiante pour attirer mon objectif et je l’avais complètement oubliée. Je lui trouve tout à coup une parenté avec celle du Valle de los Caídos :
Mais mon oiseau me pose encore une question qui me dévie et que je voudrais soumettre à mes amis hispanistes : peut-on assimiler José Antonio à un franquiste ? Un homme porte une responsabilité dans ce que l’histoire fait de lui et un fondateur de phalange est par définition le premier des phalangistes. Voilà qui est dit. Mais j’ai picoré un article de Wikipedia en français, bien documenté, et ce personnage au long visage mélancolique m’a paru plus littéraire et complexe que la brute moustachue que je me représentais :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Jos%C3%A9_Antonio_Primo_de_Rivera
Que de questions contenues dans un simple mur de pierre !