
Georges Braque, L’oiseau bleu et gris
Je lisais hier, entre autres choses que je picorais, ce beau texte de mon amie Tatiana Puccianti :
Les parenthèses sont un peu comme un jardin d’enfance où l’on s’attarde et se promène sans poursuivre un but particulier, l’on peut y déposer ses jeux et ses bijoux, ses possessions les plus singulières, pour voir ce que cela fait ensemble, on peut les gonfler des souhaits qui passent comme oiseaux qui migrent et penser ainsi, non plus à découvert mais dans la chaude enveloppe du désir.
Cette phrase a dû agir sur moi la nuit, car réveillée au petit jour, comme j’écrivais sur mon cahier quelques pages mélancoliques sur le fil perdu de mes rêves nocturnes et sur la platitude des préoccupations diurnes qui survenaient l’une après l’autre, j’ai remarqué au bout d’une cinquantaine de lignes que j’avais tendance à ouvrir des parenthèses, parfois sans les fermer, et à inclure des nids de parenthèses à l’intérieur des parenthèses principales, comme si j’avais régulièrement besoin d’un refuge contre mes pensées découragées, et que ce refuge soit comme un battement de cils, une aile vers d’autres pensées inattendues, adventices, à l’écart du soi-disant propos principal. Et je me suis dit, dans un élan d’enthousiasme que j’ai tempéré un peu plus tard, que les autres signes de ponctuation étaient des artifices rhétoriques, des reconstructions mentales semblables aux « cependant », « d’une part », « d’autre part » des dissertations, et j’ai décrété que la pensée n’avance pas du tout de cette manière, qu’elle avance par parenthèses et par sauts (j’ai d’ailleurs remarqué que j’avais tendance sur mes cahiers à sauter des lignes). Une parenthèse, c’est justement un « d’ailleurs », une bifurcation que l’on se contente d’indiquer, qui n’est pas une clôture, dit Tatiana, à peine la marque d’un terrain préservé, permettant de durer encore un peu et ce faisant de réfléchir, ôtant à la phrase toute grandiloquence et son emphase à la pensée (…)
Je n’ai pas intitulé ce texte « Éloge des parenthèses » car l’éloge est un exercice un peu grandiloquent et emphatique, contraire à cet esprit de la parenthèse que me communique Tatiana.