La barque corps : à propos de “Limite” d’Antoine Emaz, 2

(Voir, sur ce recueil du poète Antoine Emaz, mon billet du 6 février que celui-ci prolonge)

Georges Braque : Marine – à la petite barque

La métaphore marine se file discrètement tout au long du livre au moyen du motif de la barque. Les vers de la suite du recueil, datés cette fois d’août 2013 à juillet 2015, ne manquent pas de dire la limite qu’impose un corps souffrant, avec le mètre bref et l’énonciation impersonnelle qui caractérisent la poésie d’Antoine Emaz : la barque corps / ne porte plus que mal
ou : la carcasse craque / vieille branche / vieille barque

Quelques morceaux de prose envisagent un naufrage :
abandon de la place retrait écart et corps à la dérive comme un canot vide après naufrage ou coup de dés en trop

Dans les pires moments, la confiance dans les mots semble vaciller : vieux/ les mots/aussi (…) on ne croit plus qu’il y a la mer/ au bout du coquillage

Ils se retirent, marée basse clapotis de mots, avant de revenir comme des galets roulés, dans une oscillation régulière entre découragement et désir qui continue vaille que vaille  à donner vie au poème, illustrant cette note d’Emaz dans le livre Cuisine : “Le poème est là, dans son mouvement de langue innervée par vivre, et il ne demande ni explication ni commentaire.”

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À propos des 7 premiers poèmes de “Limite” d’Antoine Emaz

Le titre de ce recueil de poèmes publié en novembre 2016 me laissait présager un obstacle, un mur, un arrêt…
Mais c’est l’illimité qui déferle d’abord.

À peine le livre ouvert, la mouette que je suis est saisie, emportée : les sept textes des sept premières pages du recueil sont des variations sur le thème de l’acte même d’écrire, ou sept marées de prose qui disent la « graphie de vie » entraînée par

ce mouvement de vague qui porte ou a porté jusqu’en bout de page cette écume blanche qui bruit et se défait doucement sur le sable d’une nouvelle plage et ainsi de suite dans le ressac aussi monotone que varié du temps

Dans un présent d’éternel retour – sans date dit le premier poème – les mots reviennent ou se transforment, les pages-plages (Emaz ne dédaigne pas ces paronymes simples) s’écrivent et se succèdent. D’une variation à l’autre surgissent des

roches noires de texte qui restent un peu balises ou stèles traces graphes de vie

et qui ponctuent le mouvement de la phrase pour en stabiliser le contenu sans le pétrifier, enveloppées dans le roulis de son rythme.

Si la justesse est, comme le dit ailleurs Emaz, « l’adéquation profonde entre ce qui fait dire et la forme du dit », cette prose fluide est extraordinairement juste.

(Je parlerai prochainement du reste de ce recueil)

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A peu près mal

Il y a des jours où on a l’impression que le monde est prêt à exploser. Et puis tout tient à peu près mal.

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Passage Vendôme

Depuis plus de dix ans j’emprunte plusieurs fois par semaine le Passage Vendôme qui relie la Place de la République à la rue Béranger. J’ai une affection pour ce lieu à la fois préservé et malmené, tout proche et en retrait des insurrections de la Place, entre-deux rues et entre-deux statuts, inscrit aux Monuments Historiques et zone privée ouverte à la spéculation, lieu hybride comme il en existera aussi longtemps que Paris ne sera pas une ville-musée. Google m’apprend que ce passage a été créé en 1827 pour relier le Boulevard du Temple au marché du Carreau du Temple.

Cette dalle marque l’ancienne limite du Passage

Sous le Second Empire il a été amputé de quatre mètres pour construire la Place de la République. Aujourd’hui, c’est une voie piétonne pour les gens qui se rendent au siège du Journal Libération, ou aux outlet stores, show-rooms, conseil & coaching, hair designers & creative stores et autres esperluettes qui poussent chaque année dans la rue Béranger.

Le Passage était dans les années 2000 peuplé de petites boutiques et de fastfood mais les choses sont en train de changer. Sur le côté gauche l’ancienne configuration survit, avec un dernier sushi bar et une dernière sandwicherie orientale, une école de langues, un cabinet d’administration de biens, une  cordonnerie, et un opticien qui semble chercher à mordre   sur la cordonnerie.

Mais c’est le côté droit qui a le plus spectaculairement changé. D’année en année, une pharmacie à double entrée ouverte 7 jours sur 7 et 24h sur 24 avec pignon sur Place de la République a dévoré les échoppes voisines et se coule maintenant comme un grand boa presque tout au long du passage.

Au bout du bout de ce monstre à deux têtes, sous les tags et les crottes de pigeons de la dernière boutique fermée, une dalle bleue, vestige d’un siècle passé, gît là-bas.

Pour connaître les mendiants du passage Vendôme déroulez le blog vers le billet suivant.

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La femme humble

Les mendiants du Passage Vendôme ne sont pas des mendiants ordinaires. Pendant longtemps j’y ai croisé un être balzacien, comme « impliqué » par le lieu, qui faisait la conversation sans mendier et à qui les habitués donnaient quelques sous. Il s’attablait à un des restaurants et chassait les SDF qui voulaient occuper le terrain : « Si tu fais du désordre c’est moi qui prends, si tu pisses dans l’Passage, c’est moi qui’s fait engueuler. » Depuis l’extension de la pharmacie je ne le vois plus.


De temps en temps, à l’entrée Béranger, tout près de la plaque J. Labat, se tient sur le seuil de sa pauvreté une dame qui vend des marque-pages disposés dans un joli panier. Je lui en ai acheté deux mais je n’avais pour les payer que des pièces jaunes et rouges. Comme je m’en excusais elle m’a rassurée : ― On m’a dit qu’il fallait que j’accepte les petits sous comme ça. Au début je n’en voulais pas mais il faut être humble, je vais être humble.
Je lui ai répondu à ma propre surprise : ― Je me dis parfois la même chose. Mais vous, vous n’avez rien à craindre parce que vous avez une dignité naturelle.
Elle m’a remerciée et m’a offert un petit carton décoré pour « marquer la place des invités à table ».
Je lui ai dit : ― Je n’ai pas assez souvent d’invités pour avoir besoin d’un tel carton, je ne suis pas mondaine.
Elle a souri : ― Oui, c’est plutôt pour les gens mondains ou les artistes.
J’ai souri aussi : ― Je ne suis pas artiste non plus. Je suis…
― Vous êtes vous-même.

J’espère qu’elle a raison.

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Facino Cane et le flâneur baudelairien

Les autres nouvelles de ce livre sont : Facino Cane, Pierre Grassou, L’Elixir de longue vie, l’Auberge rouge, Maître Cornelius, Un Drame au bord de la mer.

 Je relisais hier le merveilleux début de Facino Cane,  courte nouvelle de Balzac publiée en 1836, où un narrateur  ̶  double du jeune Balzac  ̶  aime flâner dans son quartier, aux abords de la place de la Bastille, et observer les mœurs du faubourg :

Chez moi l’observation était déjà devenue intuitive, elle  pénétrait l’âme sans négliger le corps ; ou plutôt elle saisissait si bien les détails extérieurs, qu’elle allait sur-le-champ au-delà ; elle me donnait la faculté de vivre de la vie de l’individu sur laquelle elle s’exerçait, en me permettant de me substituer à lui comme le derviche des Mille et Une Nuits prenait le corps et l’âme des personnes sur lesquelles il prononçait certaines paroles.

Et à la page suivante :

Quitter ses habitudes, devenir un autre que soi par l’ivresse des facultés morales, et jouer ce jeu à volonté, telle était ma distraction.

Cette ivresse du poète flâneur apte à se glisser dans le corps d’autrui ressemble beaucoup à celle que décrira une vingtaine d’années plus tard Baudelaire dans le poème en prose “Les Foules” (Le Spleen de Paris, XII) :

Le poète jouit de cet incomparable privilège, qu’il peut être à sa guise lui-même et autrui. (…) Le Promeneur solitaire et pensif tire une singulière ivresse de cette universelle communion.

Mais les flâneurs de Balzac et de Baudelaire ne semblent pas avoir le même grain de peau. La figure de l’observateur chez Balzac, douée de la puissance magique du derviche, dégage une énergie égale à celle de son auteur, un enthousiasme qu’il me communique irrésistiblement en m’interpellant : « Vous ne sauriez imaginer combien d’aventures perdues, combien de drames oubliés dans cette ville de douleur ! » L’observateur du poème de Baudelaire est un être solitaire, sans peau, « une de ces âmes errantes qui cherchent un corps », proches des « esprits errants et sans patrie » du poème des Fleurs du Mal  « Spleen » (4).


Au cours de ses déambulations, chacun des deux flâneurs-écrivains jette son dévolu sur certaines figures saillantes qui accaparent son œil et sa sensibilité. L’âme de celui de Balzac entre dans  le corps de Facino Cane, un ancien noble vénitien transformé par l’amour et la soif de l’or en un pauvre musicien aveugle.  Il le compare au masque en plâtre de Dante, puis à un vieil Homère qui garderait en lui-même une Odyssée condamnée à l’oubli. Cette double figure de poète fondateur est un nouvel alter ego de Balzac qui en 1836 sent qu’il possède les bases de sa Divine Comédie, de son Odyssée, de ses “Mille et une Nuits de l’Occident”.

Masque mortuaire de Dante, Palazzo Vecchio, Florence

Baudelaire multiplie de son côté les allégories du poète et de la poésie dans les figures qu’il croise dans Paris, mais ses aveugles à lui sont des êtres que l’Idéal a fuis, condamnés à tourner en vain vers le ciel « leurs globes ténébreux » à l’instar du poète exilé dans la cité (« Les Aveugles », Les Fleurs du Mal, XCII). Ou bien c’est une Passante en grand deuil, allégorie de la Beauté mélancolique recherchée et immédiatement perdue, plongeant le poète dans une autre cécité : « Un éclair… puis la nuit ! » (« Une Passante », Les Fleurs du Mal, XCIII). Ou c’est encore un saltimbanque, plus directement assimilé à un vieux poète

(…) sans amis, sans famille, sans enfants, dégradé par sa misère et par l’ingratitude publique, et dans la baraque de qui le monde oublieux ne veut plus entrer ! (Le Spleen de Paris, XIV)

Picasso, Le Guitariste aveugle, Institut d’Art de Chicago

Les auteurs sont fascinés  ̶  le prénom  Facino le dit – par les doubles malheureux qu’ils se sont trouvés. Mais Balzac s’arrête sur le seuil de ce qui réduirait à néant son entreprise romanesque. Son narrateur s’inquiète : « A quoi dois-je ce don ? Est-ce une seconde vue ? est-ce une de ces qualités dont l’abus mènerait à la folie ? » L’aveugle Facino Cane fait figure de double antithétique du narrateur-auteur qui ne suivra pas l’aventure qu’il lui propose, donnant à  son récit un dénouement presque abrupt. En revanche, le flâneur de Baudelaire est nerveusement happé par les figures qui l’obsèdent, la “gorge serrée par la main terrible de l’hystérie”.

Cette identification douloureuse et cet appel du gouffre révèlent une porosité à autrui dont le poète tire sa substance, tandis que le romancier pénètre magiquement dans les corps des individus pour consolider la peau de son oeuvre et lui faire contenir d’autres “aventures perdues”, d’autres « drames oubliés » qui formeront l’édifice de la Comédie Humaine.

Picasso, portrait de Balzac

En lien, un bel article de Pierre Loubier dans L’Année balzacienne : “Balzac et le flâneur”:

https://www.cairn.info/revue-l-annee-balzacienne-2001-1-page-141.htm

 

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Espèce d’air

Quand on croise des gens dans la rue, il se dégage de chacun cette chose que maman appelait une espèce d’air. Aujourd’hui, par exemple, plusieurs personnes occupaient le trottoir avec une espèce d’air important. Le corps de cet enfant qui descendait d’une voiture semblait dire : « Je n’ai pas besoin, moi, de faire des pitreries pour me rendre intéressant ». Cet homme qui s’avançait en lançant des regards pour répondre à d’éventuels saluts, bras légèrement écartés du buste… j’ai reconnu au moment de le croiser l’artisan-boulanger le plus en vue de la rue.

Parfois, des scènes de moins d’une minute projettent vers moi plein de petits piquants qui me griffent l’âme, comme ces branches épineuses que l’on prend dans la figure quand on marche derrière quelqu’un sur un sentier étroit : une femme, yeux clairs, française, cinquantaine, un peu soufflée, ride de souffrance au coin de la bouche, s’approche pour me demander le nom d’une rue, non, de l’argent. A quelques pas un homme impatient marche de long en large et me regarde en coin. C’est tout. Un monde s’est entrouvert, de cruauté, de renoncement, de masochisme, de coups, de brèves révoltes matées, d’une humiliation qui n’en finira jamais… bouffée d’une désolation qui atteint en moi certaines zones prêtes à la recevoir.

D’autres fois, je colle plus distraitement aux gens que je croise une seule étiquette, à la rigueur deux, qui sont des ébauches d’espèces d’airs : vieux, jeune, riche, pauvre, heureux, malheureux, droit, bossu, boiteux, bien coiffée, vulgaire, proprette, intello. L’autre jour j’ai croisé deux personnages qui condensaient dès le premier coup d’œil trois airs un peu disparates quoique compatibles : pauvres, homosexuels, heureux. Pauvres par leur attitude de pauvres : voûtés, épaules tombantes, air apeuré. Homosexuels, parce que ces deux hommes se donnaient la main. Heureux, parce que j’ai eu le temps d’entendre le premier dire : « Il vaut mieux être deux », et le deuxième répéter : « Il vaut mieux être deux » en hochant la tête. Ils se tenaient par la main sans pudeur mais sans provocation, séparés des autres et s’aidant à supporter le monde, avant de se taper dessus, peut-être, ce soir ?

J’ai écrit trois paragraphes, mais j’ai l’impression que je ne sais pas très précisément définir ce qu’est l’espèce d’air  ̶  proche de ce que Nathalie Sarraute appelle tropisme  ̶  que l’on sent très fort quand on croise les gens dans la rue.

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Le mot orteil

Salvador Dali, L’Ascension du Christ, Collection Pérez Simon, Mexico.

Il n’y a plus grand-chose de neuf à dire sur les orteils depuis que les surréalistes sont passés par là. Mais je reste surprise que ni la langue castillane, ni la langue catalane, ni la langue aragonaise, ni la langue galicienne, ni la fala extremeña, ni la langue portugaise, ni la langue roumaine ne connaissent de mot spécifique pour traduire orteil. Elles l’appellent simplement doigt de pied. Bloch et Wartburg m’apprennent pourtant que le mot provient du latin articulus signifiant articulation, jointure. Pourquoi cette lacune ? Quelle est la jointure absente ?

Je conçois que les Islandais possèdent beaucoup de mots pour désigner la glace et très peu de mots pour désigner les chasse-mouches. Je pourrais donc comprendre qu’ayant rarement l’occasion de chausser des tongs, les Islandais n’aient besoin du mot orteil que lorsqu’il s’agit d’amputer un doigt de pied gelé. Or Wikipedia m’informe que l’islandais, tout comme le norvégien et le suédois, traduit orteil par tá, mot qui invite moins aux chatouilles que notre orteil, mais dont la fermeté réconforte.

Jacques -André Boiffard. Le gros orteil, Centre Georges Pompidou, Paris

En revanche l’italien, plus bizarre encore que ses sœurs romanes, ne connaît de nom que pour le gros orteil : alluce, comme s’il n’accordait d’existence qu’à cette excroissance phallique qui a intéressé Jacques-André Boiffard et Georges Bataille et qui, dans sa “basse séduction”, se donne trop d’importance à mon goût. S’il me fallait choisir un orteil, je prendrais le petit, insignifiant, sans nom dans aucune langue, informe, sacrifié, plein de cors, piétiné, écrabouillé dans des chaussures trop étroites, et je le sauverais en l’appelant boudinet  ̶  ou alors je le trancherais, car la cruauté aime le petit.

Mais j’aurais tort dans les deux cas : ce qui donne leur valeur aux orteils c’est leur solidarité, cette fraternité chaleureuse que nous éprouvons tous les jours dans nos chaussures et qui devrait nous inciter à modifier nos expressions et nos usages : Unis comme les orteils du pied serait plus adéquat que comme les doigts de la main. Il se met l’orteil dans l’œil  ne serait pas réservé aux gymnastes et aux chimpanzés, puisque faire un pied de nez est déjà une expression courante. Et si le Poète commence son chant par Quand paraît l’Aurore aux doigts de rose…  ne pourrait-il dire aussi :

Quand le soleil couchant aux orteils de violette…

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Bouts d’oreilles

On décèle dans le regard des gens la profondeur de leur intelligence et la bonté de leur cœur, car les yeux sont le miroir de l’âme, dit la sagesse populaire.
En revanche, la forme des oreilles ne révèle rien de l’acuité de l’entendement. Je trouve que les gens qui ont l’oreille fine devraient avoir un pavillon plus ciselé et un lobe plus frémissant que les lourdauds, puisque l’oreille externe et interne a par elle-même la forme d’un instrument de musique raffiné.

Il est bizarre aussi que ce soit dans les yeux que se reflète ce qu’on entend : les musiciens qui jouent ont le regard comme tourné vers l’oreille. Ils ont aussi les narines qui se dilatent, les sourcils qui se froncent, la langue qui se tend dans la joue ou humecte les lèvres, les lèvres qui se pincent. Mais les oreilles ne bougent pas. L’expression dresser, tendre l’oreille est une métaphore sans réalité physiologique humaine. Les oreilles sont donc les organes les plus inertes de notre visage : remuer ses oreilles relève de l’attraction mondaine, ce sont d’ailleurs les sourcils que l’on bouge.

Avec l’oreille tout se passe à l’intérieur. Se tenant sagement sur les côtés, parfois enfouies sous les cheveux, servant au mieux de présentoirs à bijoux, les oreilles sont faites pour recevoir en profondeur.

                                                  

En chinois, m’apprend Anne Cheng, le mot « sagesse » contient le graphème de l’oreille. Atteindre la sagesse, c’est avoir l’oreille juste, ce que selon Confucius (Entretiens, II, 4), on atteint à un âge avancé :

六十而耳順

A soixante ans j’avais l’oreille accordée.

Avant d’atteindre une pleine liberté :
A soixante-dix ans, je peux suivre exactement les désirs de mon cœur sans outrepasser aucune règle.

Le contraire de Confucius, c’est le Père Ubu :

Alfred Jarry

Sur les dessins d’Alfred Jarry le Père Ubu n’a pas d’oreilles. L’avidité n’entend rien (“ventre affamé n’a point d’oreilles », disait déjà La Fontaine). Ubu propose comme supplice, entre torsion du nez et extraction de la cervelle, l’« enfoncement du petit bout de bois dans les oneilles ».

Il me semble qu’autrefois, dans les maternités espagnoles, venait une sorte de Père Ubu avec un instrument qui perforait les “oneilles” des petites filles. Parmi tous ces bébés également chauves et braillards, certaines étaient déjà marquées du sceau de la féminité par des petites boules dans les lobes des oreilles. Je ne peux pas m’empêcher d’associer aujourd’hui les oreilles percées des petites filles à une excision-décérébration.

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Être guéri

Beaucoup de gens se plaignent beaucoup quand ils ont mal quelque part mais ne se réjouissent jamais quand ils n’ont plus mal. On ne les entend pas s’exclamer : « Ah, quelle joie ! Je suis enfin guéri ! » On dirait qu’ils craignent d’effrayer la santé avec leurs exclamations, ou que la santé est une chose tellement normale qu’elle ne s’annonce pas et ne se commente pas, ou qu’ils regrettent de ne plus être dans un état souffreteux dont ils tiraient égards, avantages, et prétextes à différer ce qu’ils devraient ou voudraient faire. Si vous demandez : « Alors, tu es guéri ? » on vous répond, en dodelinant de la tête d’un air dolent, un « oui » qui ressemble à un soupir.

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