Attentif

Ce mot porte en lui le battement de l’attente, du vif et du pensif.

Jean Siméon Chardin, L’enfant au toton

Quand je vois le mot « attentif » dans un roman je sens monter en moi une onde bienfaisante. Je me souviens en particulier d’un personnage des Fiancés de Manzoni, l’extraordinaire archevêque de Milan Federigo Borromeo au moment où il accueille le seigneur cruel qui, pris de remords, veut réparer sa faute envers l’héroïne Lucia. “L’archevêque devint attentif » : son regard s’aiguise, sa tête se penche légèrement en avant, il agite une sonnette, donne des instructions et fait intervenir les agents nécessaires à la libération de Lucia. L’héroïne est sauvée et je me sens prise d’une émotion tranquille qui dépasse largement le cadre du roman.

Avant d’agir, Federigo Borromeo avait tenu au bandit un discours bienveillant que Manzoni décrit ainsi : “A mesure que ces paroles sortaient de sa bouche, son visage, ses regards, chacun de ses mouvements en respiraient le sens”. Il faut être un homme profondément sensible autant qu’un grand romancier pour écrire cette phrase.

Roberto Juarroz porte un témoignage sur Antonio Porchia qui me le rend égal à Federigo Borromeo :

« Il possédait l’art peu commun de l’attention insolite et soutenue, d’une attention qui semblait une présence quasi-physique. Avec lui, on sentait en parlant que chaque mot se faisait profond par son attention illimitée. Sa manière d’écouter paraissait créer chez les autres la profondeur. »

Maman était plutôt distraite, les élèves étaient par nature inattentifs. Je suis affolée de l’inattention de tant de gens à tant de choses, je ne m’exclus pas de ceux dont je parle et ma profonde gratitude va aux attentifs.

La rivière échappée

Elle scintille à l’autre bout du pré, entre les arbres. C’est ainsi qu’on la découvre d’abord, un étincellement plus vif à travers les feuilles brillantes, entre deux prés endormis, sous des virevoltes d’oiseaux. Quelle merveille est-ce là, dit le regard, se faisant plus attentif.(Ainsi de l’oreille qui entendrait soudain, derrière des vitres, un instrument finement articulé comme la harpe ou le clavecin, ou encore quelque chose de plus naturel, de plus candide et de plus fort, comme un rire d’enfant.)

Philippe Jaccottet (La Promenade sous les arbres)

(À suivre)

Ce contenu a été publié dans Non classé. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *